vendredi 10 décembre 2021

BioRadioSpective - Episode 3

 

OK Computer (Juin 1997)

 

Le voilà ! le chef d’œuvre, ! Le Sgt Pepper de la génération X ! LE grand album concept sur l’aliénation du monde moderne et de la froideur des machines !

Bon voilà les lieux communs sont sortis.

La vérité c’est que je n’ai pas forcément envie d’en parler. Je ne sais pas comment en parler. Ou plutôt je ne sais plus, parce que, c’est amusant, mais c’est probablement un des albums sur lesquels j’ai le plus écrit dans ma « carrière » de rock-critic (rien que sur l’ancien blog il avait été « critiqué » deux fois (à un an d’intervalle – mais bon la seconde fois c’était en 2007 du coup peut-être ai-je de nouvelles choses à dire ?)

Donc j’imagine qu’il faut revenir à la base… en Novembre 2000, je fête mes 15 ans. Cette année-là, mon anniversaire tombe un samedi, donc j’ai demandé à mes parents le droit de fêter ça à la maison, en bonne et due forme, avec mes amis – de l’aumônerie, ce qui a, peut-être (surement) à tort, rassuré mes parents j’imagine. Je vous épargnerai les détails de la fête (qui se tint l’après-midi, point dont je réalise aujourd’hui la tristesse). Or, ce jour là un ami de deux ans plus vieux que moi (et qui fut, rendons lui aujourd’hui hommage, mon premier mentor musical de la vraie vie), m’offre OK Computer. Gravé (sur un CD Verbatim blanc), mais avec la pochette scannée / imprimée, bref de la belle ouvrage.

Il y a une certaine ironie. Cet album je l’avais déjà (en cassette) et ne l’avais pas écouté plus que ça. Mais le fait qu’il décide de me l’offrir, m’a fait faire un effort, fait faire attention. C’est peut-être le premier album que j’ai écouté avec attention de ma vie. Quelques années plus loin on finira par se fâcher et juste se perdre de vue, mais il me semblait judicieux de rendre un rapide hommage à celui qui m’a fait (re) découvrir Radiohead, surtout qu’il m’a aussi fait lire Pratchett.


Et du coup, j’ai évidement été obsédé par cet album pendant facilement 6 mois après.  Pas que parce que j’avais 15 ans et que j’étais impressionnable, mais aussi parce que c’était un album impressionnant. Plein de tristesse et de beauté – à un moment où je découvrais mes tendances à la déprime en tant qu’ado. Et aussi… unique. Mais vous vous en doutez bien si j’ai commencé par la pléthore de sarcasme c’est que mon avis a peut-être évolué depuis cette époque.

Il y a un paradoxe fondamental dans ma relation à OK Computer. Parmi les classiques de mes 15 ans c’est peut-être celui que j’ai le plus appris à moins aimer. Et pourtant, c’est peut-être aussi celui que je continue à écouter le plus souvent. Enfin, des morceaux de lui.

Soyons honnêtes et parlons-en tout de suite : la disparité entre la face A et la face B est terrifiante. La face A d’OK Computer va se classer très haut avec les Face A les mieux réussies de tous les temps (Côte à côte avec celle de Master of Puppets). Le titre le moins bon de cette face A c’est Subterranean Homesick Alien et il y a des groupes qui n’atteindront jamais la moitié de la force de ce titre de toute leur carrière. Et en plus de contenir des titres d’une classe incroyable (plus je vieillis plus je suis heureux, simplement, que Paranoid Android existe – en même temps quand j’avais 15 ans j’avais décidé qu’elle n’était pas si bien par rapport à Karma Police), il y a dans leur enchainement une grâce qui renforce l’édifice sans pourtant rien enlever à leurs qualités individuelles.

 

Putain mais qu'est-ce qu'on a fait?

Par comparaison la face B parait être un fourre tout de ce qui ne tenait pas dans ce quasi medley qu’est la face A. Comme si toute l’inspiration avait été absorbée au début et qu’on laissait les restes derrière.  Alors, oui, j’exagère grandement. Mais cette impression pour moi est renforcée entre autres par le fait que les faces B des différents singles palissent, non seulement comparées aux faces A, mais surtout comparées aux faces B de l’album précédent. L’inspiration du groupe, si elle est plus fascinante que jamais sur les bons titres, est tristement inégalement répartie. Et cette piqure n’en est que plus douloureuse quand on écoute les inédits de la réédition de 2017 pour réaliser que… les morceaux laissés de côté ils défoncent amplement les faces B ! (Sauf peut-être Polyéthylène, mais peut-être est le chimiste en moi qui parle.)

Mais cette pauvre face B ce n’est pas sa faute. C’est aussi la faute aux évènements. No Surprises est une bonne chanson, dont je n’ai compris le réel sens que trop récemment, et qui fait tristement écho à ces moments de ma jeunesse ou la vie se faisait trop difficile et je ne rêvais que d’arrêter de vivre (pas de mourir : juste de pouvoir faire pause – c’est amusant j’ai l’impression que c’est un sentiment que beaucoup ont pu ressentir dans leur vie mais très difficile à mettre en mots. Radiohead en parallèle nous rappelle gentiment que : la souffrance, c’est la vie.)

Mais c’est une chanson utilisée jusqu’à la nausée en tapis de la moindre œuvre audiovisuelle larmoyante (si, L’amour est dans le pré ça compte comme œuvre audiovisuelle.) Et tristement depuis quelques années il semblerait qu’Exit Music (for a film) commence à suivre ce chemin.

Et le titre, par sa présence ici, « gâche » un peu un enchaînement qui gagnerait à… en être un, en fait. S’il s’enchainait vraiment, si les transitions étaient fignolées, Climbing up the walls / Lucky / The Tourist pourrait constituer une entière phase où l’ambiance prend le pas sur le sens et rivaliser de génie avec ce que je considère comme un des plus grands coups de génie du genre, à savoir l’ouverture de Thirteen tales of urban bohemia.

 

Ceci étant dit… quelle face A ! Plus de 20 ans plus tard, j’aurais du mal à m’en lasser, et si mes préférences continuent de fluctuer (un peu, hein, on sait tous que le tiercé gagnant c’est 5, 2, 6). Et également, quel visionnaire que ce Thom Yorke. La réalisation terrifiante de tous ces flux auxquels on ne paye plus attention dans Let Down (et en plus aujourd’hui on sait qu’il vont nous buter à petit feu), la description de ce qu’est Twitter dans Karma Police, la bipolarité qui va finir par tous nous bouffer de Paranoid Android. Au final, au milieu de tout cela, Exit Music (for a film), est presque la seule chanson avec un peu d’espoir, même s’il est celui de voir des gens s’étouffer (l’asphyxie étant une thématique récurrente du disque. Et quand on y réfléchit un peu, du précédent aussi (la décompression c’est un étouffement ?)

Rien ne fait plus peur au groupe que d’avoir du mal à respirer. Etouffé par son label, par son succès, par le poids des attentes d’un public acquis à sa cause, certes, mais pour combien de temps ? Et cet album (théoriquement un presque sabordage volontaire) qui veut offrir une bouffée d’air en rendant au groupe un succès d’estime, une gloire plus indie que le succès mainstream qu’ils connaissent depuis quelques années.

Mais ce qu’ils n’ont pas anticipé à mon avis, c’est le fait que… cet étouffement, cette difficulté, ce dépassement par ce que la vie est… Il y a toute une génération nouvelle, qui n’a pas eu l’opportunité de connaitre Nirvana en activité et à qui ça va parler et pas qu’un peu. Et Radiohead, une seconde fois, de tomber vers le haut, de rater sa volonté d’envoyer chier – cette fois-ci – tant son label que son public (un peu) et de se voir, maintenant, accrocher une étiquette dont il sera encore plus difficile de se séparer : celle de génies. Je compatis. Mais de fait, ayant commencé par là, Radiohead, on me les a vendus dès le départ comme des génies. Et c’est seulement avec le temps que j’ai découvert la face tendre, humaine (trop… non non, on va pas la faire celle-là), sensible d’un groupe (qui pourtant geint à longueur de chanson) et de cet album. C’est ce chemin qui fait qu’à terme mon titre préféré est et probablement restera Let Down, un autre de ces titres qui met face à la Beauté et appelle frissons et larmes en un même élan.



Asphyxie dans 3, 2, 1...

Je n’ai pas eu la chance de voir Radiohead devenir le plus grand groupe de rock du monde connu, parce qu’il l’était déjà quand je les ai découverts. Et c’est un tour de force, clairement, que de convaincre tant de monde, au tournant des années 90, d’écouter ce qui est finalement du prog mais qu’on appelle pas comme ça parce que le terme est maudit.

A partir de maintenant, la chronologie de ces chroniques va revenir à la normale (pour un temps). Et Thom va réaliser que si l’après Bends lui donnait des crises d’angoisse, l’après OK Computer… ben c’est être enterré vivant. Ou être à nouveau un adolescent.

 

 

Plus mauvais titre: On sait tous que c’est Fitter Happier. Et c’est trop facile de s’attaquer à Electioneering, qui, malgré le fait que le refrain c’est littéralement « Si tu avances quand je recule », est un titre que j’aime bien (un de mes préférés à 15 ans). Du coup je pense que la lanterne rouge ira plutôt à « Climbing up the Walls », même si, vous en avez bien conscience, c’est en toute malhonnêteté.

Meilleur titre pas sorti en single : Il est pas sorti en single Let Down, techniquement., même s’il est sorti en face B. Parce que vu que c’est un des tout meilleurs titres du groupe, forcément je peux pas en citer un autre.

Meilleure face B de single de la période : En vrai, le meilleur titre non album de la période il est sorti dans les inédits de la réédition de 2017 et c’est Man of War. Mais si vraiment on s’en tient aux faces B non album sortis à l’époque ce serait Polyethylene (Parts 1 & 2).

samedi 27 novembre 2021

BioRadioSpective - Episode 2

 

The Bends (Mars 1995)

 

N’y allons pas par quatre chemins : the Bends est un des rares albums que je n’hésiterai pas à qualifier de parfait. Cela en fait-il le meilleur album du groupe ? Non. Et si c’est ce genre de phrase qui fait que ma femme me traite de snob, cela n’en reste pas moins vrai.

Qu’entends-je par album parfait ? J’entends par là que toutes les chansons de l’album sont a minima bonnes (même si en fait on va souvent taquiner au sublime). Donc que je n’ai envoie d’en sauter aucune quand je l’écoute. A cela s’ajoutent le fait que les morceaux d’ouverture et de fermeture sont parfaits (en tant que tels et à leur place dans l’album, c’est toujours important), que les singles (nombreux) sont tous bons mais n’enfoncent pas le reste de l’album au point de ressortir comme singles évidents : Un (nice dream) n’a rien à envier à un High & Dry, un Bones, rien à envier à un The Bends ou un Just  Pour vous donner un autre exemple d’album parfait : Ziggy Stardust. Pour vous dire à quel point ce n’est pas commun : aucun album des Beatles n’est un album parfait1.

 

Je ne saurais dire précisément quand j’ai découvert cet album, mais je sais qu’à un moment (en première ou terminale, donc vers 2001-2002) on m’a gravé Pablo Honey (ça m’a changé de ma cassette) et The Bends. J’en connaissais déjà un extrait (outre le My Iron lung évoqué la dernière fois, même s’il me passait un peu au-dessus du crane au milieu de ce EP maison du marasme), en l’occurrence Fake Plastic Trees, dont j’avais entendu une version live sur un concert / Compilation pour le Tibet libre emprunté à la médiathèque (disque qui me fera aussi découvrir le Beetlebum de blur et Rancid et me rend donc la datation du concert difficile) (Je viens de chercher et c’est 1997, c’est le « Tibetan freedom concert ». Rétrospectivement le line up est dingue maintenant que je connais les noms dessus)

 

Bref, The Bends est vite devenu un classique ultime de ma vie en tant que … disque que j’arrive à ne pas écouter. Comprendre par là que c’est un disque que j’ai fait tourner un nombre incalculable de fois, en fond, pendant que je lisais sur mon lit en rentrant le soir, ne prêtant donc qu’une attention toute volatile au disque lui-même. Enfin, jusqu’au titre 8, parce que l’explosion de My Iron Lung m’a toujours sorti du truc. Et rarement au-delà du titre 10, parce que, hasards de la vie, c’était toujours entre les titres 9 et 10 qu’on m’appelait pour aller à table.




En conséquence c’est probablement un des disques dont je regrette le plus d’avoir fini par comprendre les paroles (et je serais bien en peine de vous dire aujourd’hui si je les ai lues ou si j’ai fini par les comprendre. Probablement un peu des deux, au final : lu celles des titres que j’ai voulu apprendre à la guitare – le solo de High & Dry est un des premiers trucs que j’ai réussi à faire sortir d’une gratte qui ressemblait à ce que je voulais faire- oui il se joue sur genre 3 notes mais on peut pas tous être fans de Nirvana) parce qu’au final il a perdu cette fonctionnalité et très peu de disques (voire aucun) depuis ont jamais réussi à la remplir (Marquee Moon. Peut-être.)

Et paradoxalement, c’est aujourd’hui devenu un disque que, quand je l’écoute… je l’écoute. Totalement. Si je le mets en fond pendant que je fais autre chose vous pouvez être sur que je vais pas le faire vite et surtout je vais m’interrompre un tas de fois. Et en l’écoutant, ce qui me fascine c’est que… ce disque ne devrait pas fonctionner. Pourtant (miracle du mixage et de la production ?) tous ces titres disparates, dont pas deux ne s’enchainent en se ressemblant, parviennent a former un tout, cohérent, et surtout splendide. Avec des hauts très hauts et des bas pas très bas (comme souvent avec Radiohead je serais bien en peine de dénigrer un titre, il y a vraiment une notion de « ok, c’est juste pas pour moi »). L’autre point me fascinant (qu’on va retrouver plus d’une fois dans cette série) c’est la capacité de Radiohead d’avoir 10 ans d’avance… pas musicalement mais thématiquement. J’ai failli faire une blague sur le fait que The Bends est l’album marxiste de Radiohead, mais dans les faits, c’est l’album d’un groupe qui prend conscience qu’il a réalisé un exploit (Creep) que certains groupes ne parviendront jamais à recréer et dont le label, sans aucune considération artistique, demande juste de le refaire.


Les gens croient que je mets des lunettes de soleil parce que je me prends pour une rockstar mais en fait c'est juste que je fais des migraines ophtalmiques

Réalisant qu’il n’est qu’une commodité comme une autre, juste plus difficile à produire à la chaîne, Thom Yorke décide d’en faire une ballade désespérée sur la surconsommation de « merdes en plastique made in china » (parmi lesquelles il voit son art inclus) comme distraction face à la vacuité de l’existence.2 Ce morceau est aussi une des plus belles démonstrations de la nouvelle arme que le groupe vient de réaliser qu’il a : 3 guitares. Enfin, surtout que quitte a avoir 3 guitaristes autant qu’ils jouent des trucs différents plutôt que de tous trois jouer le même truc histoire de sonner fort. Et sur ce morceau, le déploiement stratégique de l’acoustique, d’une électrique jouant des accords avec un peu de distorsion et d’un électrique claire pour le solo est tout simplement terrassante.

J’ai dit il y a deux articles que malgré tout, Creep est une bonne chanson, émouvante et tout, mais soyons honnêtes, si elle passe en soirée, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. Si Fake Plastic Trees passe, on est pas 2 accords dedans que je cherche déjà où aller me cacher pour chialer tout ce que j’ai, entendons nous bien. Et c’est même pas ma chanson préférée de l’album ! Pourtant, c’est une de ces chansons qui, quand je les entends, me plonge dans des abîmes de reconnaissance face au fait d’être né à un moment ou cette chanson existe (et de pas, genre, être mort en 1993 – je suis sur que j’aurais eu une vie intéressante hein, j’aurais connu les 30 glorieuses et tout, mais pas Fake Plastic Trees et du coup ça aurait été un peu moins bien quand même. Moi j’ai Fake Plastic Trees ET Dear Prudence (et plein d’autres mais c’est tout ce qui me vient dans cette catégorie) je suis bien, même si confronté aux abysses existentielles du réchauffement climatique et condamné à redéfinir mon propre rapport à la société de consommation, entre autres via l’écoute répétée de cette belle et douloureuse chanson.

(Mais sinon ça va)

De tous les premiers albums de Radiohead, qui ont cet effet « ouah la face A est ouf mais la face B c’est pas ça », il faut aussi avouer que The Bends est celui qui maintient l’illusion le plus longtemps. Ce n’est que la soudaine coupure de Bulletproof (I wish I was) après l’excitation de la fin de My Iron Lung (je vous ai parlé de My Iron Lung ?) qui, certes, offre une respiration bienvenue après deux titres qui décidément en envoient sévère, mais peut être une trop large respiration qui casse un peu les pattes (et dont pâtissent, à mon avis, les deux titres suivants, très « classiques » dans la forme, mais néanmoins très efficaces – Sulk en particulier, pourrait échanger sa place avec (nice dream) sans que la face A ne perde de sa splendeur.

 


Face au « toujours difficile second album » les groupes ont de nos jours plusieurs choix : continuer dans la veine du précédent, sortir les morceaux qu’on n’avait pas jugés assez bien pour le premier, ou se réinventer. J’ai longtemps préféré les 3emes albums (les fameux albums dits « de la maturité ») de mes groupes préférés, mais en vieillissant, je me suis souvent tourné plus précisément vers les premiers, mais surtout les seconds albums (a ma grande surprise, l’album des Smashing Pumpkins que j’écoute le plus régulièrement est Siamese Dream par exemple). Parce que ce qu’un groupe dit et fait dans son second album est généralement bien plus une déclaration d’intention que ce qu’était son premier ou sera son troisième. Avec The Bends, Radiohead devient un groupe auto conscient, instatisfait et volontairement contre productif, décidé à pousser la corde pour voire quand elle casse. En ce sens, ce n’est pas tant My Iron Lung (qui est au final un morceau post-grunge, mais anglais), ou The Bends (qui bien que rayonnant de « Oh mon Dieu j’ai tout ce que tout le monde voudrait mais franchement c’est pas fait pour moi » est au final « juste une très brillante pop song »), que Just qui illumine l’album de sa présence défiante. Un morceau comme celui-ci ne devrait probablement pas exister et surtout ne devrait pas être aussi bon.

Avec les années mon point focale sur ces albums a évolué et mon morceau préféré n’a cessé de migrer de la plage 4 à la 8 à la 12… Finalement la 7, juste après la moitié de l’album, est l’apex, le climax d’un album qui n’a fait que tendre vers cet apogée et ne fera qu’en redescendre derrière. Vrombissant, virevoltant (le jeu de guitare n’est pas sans rappeler au fan en moi le « Bodies » des Smashing Pumpkins, cette sorte de spirale / ZigZag de torrents de bruit) et décidant de ne jamais rester le même,  changeant le morceau dès qu’on pourrait s’y sentir à l’aise plus de deux secondes, c’est là que Radiohead montre son génie, sa volonté et surtout son crédo : on peu être tout à la fois pop et prog, on peut être intelligent sans être chiant, on peut divertir et faire réfléchir.

C’est quand on utilise Radiohead comme exemple (ou les Beatles) qu’on est le plus à même de me happer dans des explication relous de musicologie. Et ils auront beau engager le même producteur ou pomper Chopin à la source, c’est pas Muse qui saurait en dire autant.

 

Il est peut-être moins « important » que Nevermind ou même son propre successeur, il n’en reste que The Bends est le plus grand, le plus beau, le plus parfait des albums des années 1990 (Mais pas le meilleur).

 


Plus mauvais titre: Bulletproof (I wish I was) . Je vais pas me faire que des amis mais c'est mon opinion.

Meilleur titre pas sorti en single : Ils sont quasiment tous sortis en singles! Au final, je dirais Bones, probablement un peu sous estimé car trop similaire à The Bends

Meilleure face B de single de la période : Talk Show Host, no contest. J'adore Killer Cars également, je trouve que c'est un morceau qui mériterait mille fois plus d'exposition, mais Talk Show Host, est un tel chef d'oeuvre. Je reste convaincu que son absence de tout album est juste liée au fait de garder un "inédit" pour la B.O. de Roméo + Juliette.

Leçon de vie cachée dans les paroles: I wanna live / Breathe / I wanna be a part of the human race.  N'importe quel autre groupe chantant ça ce serait des pleurnichards. Ici c'est juste une requête légitime.

 

 

1 Et avant que les mauvaises langues ne se délient et parlent à tort de jardins de pieuvres, disons-le : c’est souvent la faute de George et du sous-continent indien.

2 D’où la présence évidente du morceau sur la B.O. du film Clueless (qui est un film plus malin qu’on le croit)

lundi 22 novembre 2021

BioRadioSpective - Interlude (?) 1

My Iron Lung EP - Septembre 1994 


Si j’ai hésité à parler de celui là, je finis par le faire pour deux raisons. La première, c’est que mon lecteur (on va pas déconner, à ce stade, on sait tous les deux que j’écris surtout pour toi), m’a dit qu’il fallait le faire. Mais en même temps il devait encore s’attendre à une analyse objective de la discographie du groupe, pas cette autodiscobiographie bordélique parce qu’essayent de faire se croiser deux timelines qui ne vont pas ensemble (la mienne et celle du groupe). La seconde c’est que je suis retombé dans ma discothèque sur mon My Iron Lung.

 

Parce que oui. Il y a My Iron Lung, et il y a mon My Iron Lung.

 

Novembre 2001. Les vacances sont en train de s’achever, et nous préparons nos valises pour repartir. Ma sœur, qui reste un peu plus longtemps, arrive avec son copain (qui deviendra plus tard mon beau-frère) dans la cuisine de la maison familiale et me tend un paquet presque cubique, mais qui parait instable sous son papier cadeau. En l’ouvrant j’y découvre 6 CDs gravés, dans leurs boitiers slims, avec les impressions de compte rendu Nero Burning Rom en guise de tracklisting. C’est bête à dire, mais à ce jour encore c’est peut-être (sans qu’elle n’en ait jamais eu conscience ni à l’époque ni aujourd’hui), la cadeau le plus attentionné qu’elle m’ait jamais offert. Le temps passé à télécharger les morceaux, à les graver…

Parce que quand on y pense, c’est fou, on parle de la fin 2001 : ça a été téléchargé sur eMule parce que même si un pote de mon futur beau-frère les avait sur son PC… les clés USB ne sont pas encore vraiment là, les disques durs externes encore moins. Pourtant moins de 6 ans après, en une soirée je téléchargeais In Rainbows pour le mettre sur mon iPod depuis le PC de la copine d’un pote. Ça me flingue.

 Aujourd’hui, je ne saurais me rappeler parfaitement du contenu de ces 6 CDs. Je sais que l’un d’entre eux était une compilation de « classiques » de qualité, et que deux n’étaient composés que de morceaux de Radiohead que je ne connaissais pas encore1, et que chaque compilation avait un « titre » associé : l’une était Pop is Dead. L’autre était My Iron Lung.

Mon My Iron Lung… Je l’ai encore. Jetons un œil au tracklisting.

 
(Les fautes "de frappe" sont d'origine du fichier Nero que j'ai recopié)

 

 Comme vous pouvez le voir… Mon My Iron Lung est plus long, plus touffu, et My Iron Lung y est en fait tout planqué au milieu de tout ce beau monde, dont une bonne partie est composée de faces B de singles tirés d'OK Computer (un peu comme s'il s'était accouplé avec l'EP Airbag / How am I driving? mais SANS Airbag.) Et je le rappelle on est en 2001, donc je n’ai pas forcément d’outil à disposition pour tracer la véritable origine de chacun des morceaux. Ou même juste pour comprendre, outre le tracklisting, ce qu’est My Iron Lung dans la discographie du groupe2… je savais même pas ce qu’était un EP, hein.

 

Et quand l’ai-je finalement acheté « en vrai », l’ayant trouvé d’occasion et découvrant par la même la réalité de cet EP ? 2010, peut-être ?

Bref j’ai longtemps vécu dans un monde imaginaire où cet EP était un véritable album, mal ordonné, plein de bonne idées mais dépourvu de cohérence, avec ses moments de beauté, mais décidément difficile à suivre. Donc je comprends ce que ne soit pas considéré comme un album. En plus ils sont con la meilleure chanson est en avant-dernier. (Mes gouts ont changé depuis) (Par contre j'adore l'ironie qu'il y a à ce que My Iron Lung y a sa place de The Bends, en 8)

 


Mais l’idée n’est pas forcément de parler d’un disque qui n’existe pas vraiment, parlons du vrai. Du 8 titres. Dont on va exclure tout de suite le dernier parce qu’on s’en fout et parce que son absence dans la version de l’EP mise en ligne par le groupe lui-même confirme à mes yeux ce dont on se douterait tous : cette version acoustique de Creep a très certainement été imposée par la maison de disques. Il est tellement antinomique que ce disque commençant par le groupe reniant ce morceau 3 finisse par une version alternative du morceau incriminé.

 

Bon, comme à l’habitude, le disque se coupe malgré lui en deux : la face A est top, la face B on s’en fout un peu, mais c’est aussi probablement parce qu’elle est un peu plus molle du cul et… Bon, il faut aussi le citer, ce disque c’est la première rencontre avec Nigel Godrich, qui pour l’instant n’est qu’ingénieur du son sur…  justement, les 4 premiers titres. Coïncidence ? Peut-être.

Coupé en deux, le disque l’est aussi dans sa musique : écartelé entre deux albums sur lesquels ils ne figurent aps, on serait bien en peine de dire quel titre devrait aller où. Le groupe tente des trucs, tout ne passe pas, rien n’est vraiment mauvais, mais à part le morceau éponyme, peu de choses ressortent. Et surtout : le son passe son temps à changer. Chaque morceau semble offrir une facette différente, une tentative différente, tour à tour classique rock, shoegaze, voire orientalisant (Lozenge of Love dont la mélodie rappelle les chansons signées George Harrison qu’on saute). On va pas non plus se voiler la face, mes titres préférés sont ceux qui sonnent le plus comme l’album à venir, ou du moins qui sonnent comme des trucs que j’aime (Permanent Daylight cette sorte de reprise de Sonic Youth par REM, je m’en passe.). Je pense que plus jamais dans sa carrière le groupe ne sonnera aussi purement « méchant » que sur The Trickster (pas agressif, juste méchant), et soyons simple : le fait que cet EP soit si bon, mais aussi qu’il ait été quasi-intégralement écarté de l’album à venir (alors qu’on aurait pu le garder comme matériel à faces B) et ce, sans AUCUN regret du groupe comme des fans (parce qu’on y viendra, mais je serais bien en peine de fourrer un titre de cet EP autre que le morceau titre au sein de The Bends sans avoir l’impression de tenter une fission nucléaire), ça reste un tour de force.

L’EP est intéressant, et le groupe avait probablement besoin de réinventer sa réinvention si j’ose dire, de la mettre en scène, avant d’en offrir la plus belle expression. Aussi c’est le moment ou le groupe atteint presque sa forme finale : Ce combo Radiohead/ Godrich / Donwood (le graphiste qui accompagne le groupe depuis maintenant plus de 25 ans !) sont là. Et si les chutes de l’album étant de cette qualité… Vous vous doutez que The Bends a de la gueule.




 

Pas de sélection particulière de titre parce que ce serait dure d’appliquer les catégories à cet EP. Aussi je parlerais plus longuement la prochaine fois de My Iron Lung, la chanson. En même temps qu'on commencera à basculer en plein doute métaphysique

 

  

1 Et un de ces morceaux, censé être une reprise de Deftones par Radiohead n’était en fait qu’une version acoustique de Be quiet & drive, mais bel et bien par Deftones quand même.

 2 La place de My Iron Lung dans la disco du groupe je l’apprendrais dans la rétrospective / biographie du groupe dans Rock Mag une paire d’années après. Autre temps, autres moeurs

 3 Je pars de l’idée que les gens connaissent My Iron Lung, mais si tu es un jeune lecteur égaré qui ne sait pas cela, d’abord, bienvenue, installe-toi confortablement et merci du temps que tu m’accordes, mais aussi :  la chanson My Iron Lung passe une partie de ses paroles à cracher sur le morceau Creep ou tout du moins le succès difficile à vivre qu’il a apporté au groupe et qui fait que la maison de disque leur demande de rééditer cet exploit avec ce nouveau single (non je ne dirais pas les paroles. Les citer dans un article parlant du morceau est aussi cliché que Radiohead rencontrant encore plus de succès avec un album qui explique qu’ils vivent mal le succès.)

vendredi 12 novembre 2021

BioRadioSpective - Introduction et Episode 1

 

De tous les groupes que j’ai aimés quand j’étais ado, il en est un qui a un statut unique : je n’ai jamais vraiment réussi à en faire mon deuil.

Malgré un sursaut en 2007 j’ai fini par comprendre que les nouveaux Smashing Pumpkins ne seraient jamais à la hauteur des originaux. Je me suis purement et simplement fâché avec Muse (en 2009) et Placebo (dès 2006). Oasis n’existe plus. Si l’on creuse vraiment les anfractuosités de ma jeunesse… Nada Surf est anecdotique aujourd’hui. Slipknot, Korn, ne sont que de pales copies de leur folles origines, mais je ne leur souhaite aucun mal.

Mais Radiohead… Il y a une coïncidence qui restera pour toujours : en 2000 j’ai eu 15 ans un mois (à peu près) après la sortie de Kid A. Et à mon anniversaire on m’a offert OK Computer. Que j’avais déjà en cassette mais ça on y reviendra. Mais c’est comme si ce groupe avait toujours été là, présence discrète pour ne pas dire fantomatique, mais présence quand même. 20 ans. Vingt et un, même. Mon goût pour Radiohead peut aller au bistro aux Etats-Unis.

En 2003 j’achetais Hail to the Thief le jour même de sa sortie et l’écoutai religieusement, collé à la mini-chaîne, dès mon retour. Aujourd’hui, je crois ne toujours pas avoir réussi à finir une écoute entière de  A moon shaped pool … et pourtant je continuerai probablement longtemps à lister le groupe parmi mes préférés, quand bien même il n’a pas sorti un album me convaincant ces dix dernières années (en même temps ils en ont sorti qu’un). Que s’est-il passé ? Chaque fois que je pense au groupe c’est avec une tendresse infinie, et pourtant, on ne se cause plus.

Aujourd’hui, il est temps de revenir sur une relation certes houleuse, mais riche en émotions, et, qui sait ? de peut-être en tirer quelques enseignements.

  

1. Pablo Honey (Février 1993)

 

 

Quand je pense qu'il est des gens qui se moquent de la coupe de cheveux actuelle de Thom Yorke

Soyons honnêtes: il est peut-être là, en fait, l’album le plus clivant du groupe. Il y a généralement deux opinions qui s’opposent sur cet album. D’un côté les esthètes, cette bande de snobs, qui ne le considèrent digne d’aucun intérêt (ils ont déjà du mal à en trouver à The Bends). De l’autre les honnêtes gens, qui le voient comme un album de britpop honnête mais -évidement- encore loin des sommets à venir, voire peu marquant au milieu des albums de britpop qui pouvaient sortir à l’époque.

Et puis il y a moi. Même si vous avez déjà deviné où je me situe dans cette grille d’analyse, la vérité est que je ne saurais analyser cet album. Pour une raison très simple : cet album m’a (presque) tout appris. Lors de l’années scolaire 1999-2000 je faisais seulement mes premiers pas dans le grand défrichement de Rock des origines à nos jours, et je n’avais eu que quelques disques sous les oreilles quand celui-ci (enfin, non, quand le nom Radiohead) a croisé ma route. On m’avait copié sur cassette OK Computer et « celui où y a Creep ». Et au risque de déplaire à ma fanbase de bon gout, ce n’est pas le chef d’œuvre de 1997 qui a le plus retenu mon oreille à l’époque.

Je vais dire quelque chose qui semblera une évidence à toute personne de bon sens, mais qu’il me semble utile de poser ici : les clichés sont des clichés pour une bonne raison, à savoir qu’ils fonctionnent. Mais il est un autre point sur lequel je voudrais insister : un cliché n’en est pas un quand c’est la première fois qu’on y est confronté. Et c’est aussi cela qui me rend cet album si attachant. Creep est une bonne chanson, c’est un fait (si, si). Mais quand c’est la première chanson qu’on découvre avec ce passage d’un son clair pour le couplet à des torrents de distorsion pour le refrain… c’est transcendant. Je vieillis et donc les choses sont un peu floues, mais Pablo Honey est, j’en suis à peu près sûr, un des cinq premiers albums de rock à être entrés dans ma vie. Donc, plus encore que les « Ouah, on peut faire ça » que les grands (Beatles, Bowie, etc.) m’ont fait découvrir plus tard, Pablo Honey m’a permis de découvrir que ce qu’on y trouve existe en ce monde.

 


Et dans mes virginales oreilles, les envolées de Stop Whispering, l’alternance de structure couplets durs et lents / refrain pop plus rapide (très pixienne maintenant que je le sais mais je savais pas encore qui étaient les Pixies - j’avais même pas encore vu Fight Club) de Anyone can play guitar, le redémarrage et ce solo à la fin de I can’t - entendu depuis mille fois depuis dans des trucs faits avant, même l’ouverture claire de You avant de sortir du gros son, tout a laissé une trace.

Ici est née une sensibilité, une affinité même pour quelque chose que je ne connaissais pas, ou pas bien. Le rock devait être dur et colérique, voire rebelle (à qui, à quoi ? à 15 ans on ne s’embarrasse pas de la transitivité…) et idéalement que mes parents me demandent de baisser le son, mais je le découvrais ici émotif et émouvant, délicat… Je découvrais ma propre propension à la pop. Et mes parents me demandaient quand même de baisser le son ce qui ne gâchait rien.

 

Bon, il ne s’agit pas non plus d’absoudre l’album de ses défauts (qui n’en sont pas forcément) : sans la voix de Thom Yorke, Thinking about you est un morceau d’un affolante banalité. C’est aussi un album de Radiohead typique des premiers temps : à savoir un vinyle qui s’ignore. Je théoriserai sans doute plus longtemps sur les formes des albums de Radiohead un peu plus tard cependant : les trois premiers ont tous cette tendance à avoir une Face A moins cohérente que la B, mais aussi meilleure parce que contenant les meilleurs titres. Mais ici, avec le temps, je préfère de plus en plus la face B : Ripcord, Prove Yourself, ça reste bon, mais l’ensemble se mélange plus aisément en un fond homogène, surtout que d’un coup la constante de cette face c’est la batterie, qui claque vraiment bien sur cette album (probablement parce que, j’ai l’impression, Phil Selway y est incapable de taper sa caisse claire sans taper de cymbale en même temps). Sans compter une vibe « Scared to get happy », très indie pop anglaise 80’s, mais avec une volonté d’aller de l’avant, presque une joie de vivre, qui fait chaud au cœur.

 

S’il est probable que j’aie écouté cet album plus de fois dans les dernières semaines juste pour écrire ces lignes que je ne l’ai fait ces 10 dernières années, cela ne change rien : tout familier qu’il soit (chaque pont, chaque riff, chaque changement de rythme est gravé dans ma mémoire), ce qui me rend fatalement tendre à son égard, il reste un bon album qu’on considèrerait un pépite oubliée si ses auteurs n’avaient pas tout explosé derrière, et dont le principal défaut, peut-être, est de compiler les meilleurs titres écrits par un groupe qui existait déjà depuis 7 ans à la sortie de celui-ci, et qui a donc pioché dans bien des influences en chemin.

 

Plus mauvais titre: Thinking about you

Meilleur titre pas sorti en single : Ca se joue entre Ripcord et I can’t… Mais au final je dirais I can’t parce que je suis une petite chose sensible... et que j’aime bien les lignes de basse menaçantes avant que le groupe revienne

Meilleure face B de single de la période : Difficile de dire autre chose que « Inside my head ». C’est l’équivalent de découvrir les titres des années 80 de R.E.M. quand on ne connaît que leurs morceaux RTL2.

Leçon de vie cachée dans les paroles: Stop Whispering / Start shoooooooouuuuuoooouuting

 

 

samedi 10 avril 2021

Victor est un con

Attention: spoilers complets. D’un roman qui a 205 ans.

 


J’ai eu une envie récente, liée à ma fascination morbide pour la tentative avortée du Dark Universe, de « retourner à la source », et donc de lire les romans qui ont inspirés ce qu’on considère comme les « monstres classiques modernes ».

Ma lecture de « L’extraordinaire cas du Docteur Jekyll et de Mr. Hyde » m’a presque déçu. Mais ce n’est pas la faute du roman: celui-ci est structuré comme une enquête pour comprendre quel est le lien entre le monstre et l’honorable gentleman, et la solution est éventée depuis un siècle – même si  oui, le chapitre de confession de Jekyll est splendide de désespoir et de mélancolie.

 

Mais Frankenstein, ce n’est pas la même chose ! C’est la création de la Science-Fiction, c’est une réflexion sur la responsabilité du créateur ! C’est un roman visionnaire et éternel ! La pauvre Mary Shelley, effrayée de sa propre imagination, obligée de poser ses visions sur la page !

J’ai, de fait, beaucoup aimé ce roman, en dépit de certains de ses défauts. Stylistiquement, il a les défauts de ses qualités : il a été écrit en 1816, et le langage (de la traduction) a ce charme du parler d’antan, du passé simple et des archaïsmes involontaires. Mais en contrepartie, il est de son temps, et cette structure de roman pseudo-épistolaire (même si le terme de « poupées russes du témoignage » serait probablement plus approprié) fait soupirer quand on l’attaque (je n’aime pas les roman épistolaires, désolé, ça m’emmerde).


 

Mais ce qui m’aura le plus marqué (et conforté dans l’idée que revenir à la source est une bonne chose) c’est que ma lecture fut accompagnée d’un sérieux syndrome de Shining : le roman n’a que peu à voir avec l’image qu’il laisse dans la culture générale – merci le cinéma. Déjà, et ce même si je ne m’en étais jamais vraiment posé la question, je n’aurais probablement pas imaginé Genève, la Savoie, ou même la charmante ville d’Ingolstadt en Bavière comme cadre principal de cette histoire. Mais surtout… pas de foudre pour donner vie à la créature, pas de foule en colère avec des fourches et des torches, et une créature étonnamment plus éloquente que « Fire bad ».


Et pas de boulons non plus

Bref il y a de nombreuses raisons de se plonger dans le livre d’origine, dont une qui me touche personnellement : qu’il est agréable et amusant de retourner à une époque où la chimie faisait encore rêver, où elle pouvait être un objet de science-fiction et de fantasmes quant à ses réalisations (pensez bien qu’en 1816, la Chimie moderne a quelque chose comme 30 ou 40 ans à peine).

 

Mais il est un point qui m’a rendu la lecture difficile, point pourtant primordial pour que l’histoire existe : Victor Frankenstein est un con. J’utilise ce terme parce qu’il recouvre beaucoup de choses, presque par défaut. Car, et ses réalisations scientifiques le prouvent, il n’est pas un imbécile. Mais il y a des moment sou j’avais envie de, au mieux le secouer, au pire le baffer. Mais genre fort. En vrac (attention spoilers, vraiment) :

-          Son rejet immédiat de la créature n’est décrit QUE par une réaction à la hideur de sa création. Mais sans plus de développement sur la page. Qu’il soit le symbole de son hybris, d’une défiance vis-à-vis du Créateur ou un truc comme ça, non, à aucun moment ça n’est évoqué. Ce qui laisse le gout amer que Victor Frankenstein, petit bourgeois suisse privilégié, est bêtement superficiel. Et probablement que s’il était meilleur en travaux d’aiguille il n’y aurait pas de bouquin.

-          Il y a un moment ou j’ai vraiment insulté Victor et c’est le suivant : Victor s’est vu demander par sa créature la fabrication d’une compagne. Celle-ci vient de lui expliquer pendant quelques chapitres que, oui, c’est bien lui qui a tué le petit frère de Victor, mais c’était dans un élan de colère et de désespoir parce qu’il est rejeté de tous, son créateur y compris, et qu’il a compris que seule une créature aussi hideuse que lui pourra jamais l’accepter, donc s’il te plait papa fabrique moi une copine. Réticent, Frankenstein accepte. Mais alors qu’il s’apprête à insuffler la vie à cette nouvelle créature, il a une vision d’horreur du couple de Frankenstein donnant naissance à un nouvelle engeance qui finirait par prendre le contrôle de la Terre et détruire notre belle civilisation1. La réaction de Victor ? Tout détruire, (en plus sous le regard de la créature originelle), scellant ainsi son destin. Et moi de hurler que franchement t’étais pas à une hystérectomie près et que ça t’aurait évité bien des problèmes.

-         Juste après, la Créature émet son avertissement ultime : « Je te retrouverai le soir de ton mariage ».  Reprenons le contexte : tu viens de détruire son seul espoir d’avoir une compagne. Il te menace de te retrouver le soir de ton mariage. De quel degré d’égoïsme total faut-il être atteint pour être convaincu que cette menace pèse sur ta vie à toi ? Pourquoi attendre jusqu’à ton mariage alors, il peut te buter maintenant. Il ne veut pas ta mort, il veut que tu comprennes et partage son infini malheur bordel !

 

Ces points ne sont que trois points qui me furent particulièrement irritants, mais oui, un des freins à mon appréciation totale de ce livre est ici. Cette haute société imbue d’elle-même à laquelle je suis incapable de m’identifier, et qui fait qu’on donne très aisément raison à la Créature, toute meurtrière qu’elle soit. L’incapacité du Dr Frankenstein à ne serait-ce qu’évaluer les conséquences de ses actes, savant fou tellement imbu de lui-même qu’il est impossible de compatir avec lui, alors qu’il passe la moitié du bouquin à se plaindre… même face à une créature qui ne lui demande qu’un peu de compassion. Qu’évidement il est incapable de fournir. Même le projet Manhattan avait plus d’éthique.

 

Et pourtant… quelle pierre angulaire de tout un imaginaire. Parce que les vides foisonnants laissés ici et là font que ce livre offre la possibilité à chacun d’y greffer ses propres névroses et d’y voir le symbole qui lui plaira le plus. La créature est elle chaque enfant rejeté de la société qui se tourne vers une vie de crime ? Ou même l’être humain, abandonné par son Créateur (avec une majuscule celle-là) ? A l’heure ou l’on parle de plus en plus d’Intelligence artificielle, le livre ne devrait-il pas trouver une nouvelle jeunesse ? (Skynet, le Monstre, même combat ?) (C’est probablement lié à ma vie actuelle mais l’angle : Victor Frankenstein, pire daron du siècle m’a pas mal accompagné dans ma lecture, aussi).

La porte est ouverte à nombre d’interprétations autres que le simple « Le monstre n’est pas forcément celui qu’on croit » (on a déjà toutes les adaptations de Notre-Dame de Paris pour ça), et c’est, pour moi, ce qui fait la force du livre et justifie que le mythe du « Prométhée moderne » reste toujours frais et d’actualité.

 

Sinon, Pocket, votre papier est de meilleure qualité que sur mes premiers Pratchett, mais du coup, vous avez décidé d’économiser sur la colle, non ?

 

 


 

 

 

1 Sur le point spécifique de pourquoi le monstre est plus fort qu’un humain moyen, j’adore l’explication donnée : il fait 2 m 50 parce que c’est plus facile pour Victor de travailler sur des trucs plus grands. C’est tellement simple que c’est du génie.

mercredi 7 avril 2021

Démêler le plat de (Western) Spaghettis


 Ca y est ! Après 3 essais (trois !) j’ai enfin réussi à achever ma lecture du cinquième tome de La Tour Sombre, la fameuse « Jupiter de l’ imaginaire » du bon ami Stephen King. Je vous passe les détails, mais la première fois, c’était dans la foulée de ma lecture du quatrième tome (c’est une erreur à ne pas faire, je vous le dit), et la seconde, eh ben j’étais probablement déjà malade et de toutes façons incapable de lire quoi que ce soit. Mais la reprise n’était pas non plus terriblement difficile, le fait étant qu’au mieux j’avais à peine atteint la moitié de la première partie, soit donc pas très loin (même pas 100 pages sur les 650 que le tome compte). 

Et il va de soi que si je vous en cause aujourd’hui c’est que j’ai quelque chose à dire sur le sujet. Mais c’est surtout moi qui ait tendance à me gâcher la vie en ayant des lectures presque trop analytiques pour ne pas dire méta, et donc ce qui me reste d’un livre – que je considère comme le meilleur de la saga jusqu’à présent, et dont j’ai vraiment apprécié la lecture, sincèrement – est… un ensemble de réflexion autour du livre.


1. Suspension consentie de l’incrédulité


Alors que j’arrivais enfin à recommencer à lire, je me suis dit que j’allais pas non plus pousser et qu’il était peut-être temps d’arrêter un peu avec mon « snobisme  de bilingue » qui m’amenait à redouter de lire en français des livres écrits originellement en anglais. Par manque de confiance, par crainte d’une mauvaise traduction (ça existe), parce que j’étais capable de le faire, tout simplement. Dans les faits, c’est une bonne chose, en pratique, le faire avec Stephen King, dont les traductions ont tendance à être notoirement mauvaises (mais surtout les premières, bordel, je devrais pas courir ce risque avec un bouquin post-2000 !) restait une gageüre.

Et… Bon il y a certes une seule faute de traduction flagrante (« les 8 doigts qu’il restait à sa main »), mais… la question que j’ai surtout envie de poser c’est « il viendrait à l’esprit de personne d’embaucher pour la traduction quelqu’un qui s’y connaitrait au moins un peu en musique rock ? » Parce que ça aurait une certaine logique vis-à-vis des obsessions de l’auteur. Et aussi ça m’éviterait probablement de rager quand, en deux pages consécutives, je me retrouve face à deux formulations qui me sortent tellement de l’action que je me sens obligé de reconstituer la version originale dans ma tête pour trouver comment ça a pu être traduit comme ça.

Le premier (même si le second chronologiquement) c’est de découvrir que « In the Summertime » a été chanté par « Jerry Mungo ». Bon, OK, il n’y a qu’un pinailleur comme moi qui va y faire attention, sauf que… 15 lignes plus tôt, on le trouve formulé correctement, et c’est bien, dans un premier temps, Mungo Jerry qui est crédité.

Mais celui qui m’a fait bondir, et donc mis en bonne condition pour tiquer quand Jerry Mungo a pointé son nez, c’est bien…

« Tout le monde a l’air souriant parce que la lumière est tellement éclatante et l’air si doux, c’est l’été dans la ville et on entend quelque part le bruit d’un marteau piqueur, comme dans cette vieille chanson « Lovin’ Spoonful » »

Ce sont aussi les guillemets qui m’ont fait comprendre que ce n’était pas un oubli d’un « des », mais bel et bien une totale traduction ratée de « the old Lovin’ Spoonful song ». On est en train de te décrire la scène d’ouverture de Die Hard with a vengeance / Une journée en enfer et… et clairement on te dit très probablement, en V.O., que c’est « Summer in the City » ! C’est Stephen King ! Bien sur qu’il va y avoir des références musicales dans les coins !


Tout ça pour dire qu’une traduction qu’on voit (a fortiori si on y trouve une erreur comme celle-ci), c’est comme un doublage mal synchronisé ou mal adapté (1), ça casse la magie. Et moi de réaliser que quand on décide de lire une traduction, on doit accepter de suspendre encore un brin de plus son incrédulité, pour accepter tout à la fois la fiction, et la traduction rendue. Et ça peut aller de « ça passe tout seul » (la grande majorité  du livre), à « ça frotte mais ça passe » (Par exemple, dans celui-ci, la formulation « Pas question Gaston », dont je devine qu’elle est une traduction d’un « No way José »(2) ), à des points d’achoppement comme celui évoqué plus haut. 

Bon ben soyons honnêtes, c’est toujours une bonne réalisation, c’est juste dommage que je le réalise parce que je suis un horrible pinailleur.




1 De ce côté, j’ai un souvenir très marqué de la première fois que je me suis fait cette réflexion, ou du moins une similaire : dans la version française de l’épisode de Friends ou ils jouent à un jeu de quizz les uns sur les autres (qui mène à l’échange des appartements de la saison 4), la version française colle une référence à Claude François, qui, déjà à l’époque (j’avais quoi, 13 ans peut-être ?) me paraissait…. Pas à sa place dans la bouche de jeunes new-yorkais. (Je venais de découvrir ce qu’étais un mauvais travail d’adaptation / régionalisation)

2 Saviez-vous que c’est la catchphrase de Jacquouille la fripouille dans la V.O. des Visiteurs en Amérique ? Toujours heureux de partager du savoir inutile, ne me remerciez pas.



2. Spécificité du medium


Alors si la traduction m’a fait tiquer une parie de fois pendant 5 minutes, il y a un autre point qui m’a fait tiquer beaucoup plus longtemps…. Presque 300 pages. Stephen King a quelques tics d’écritures auxquels on a fini par s’habituer, comme par exemple sa manie d’annoncer les morts de personnages secondaires (« Il acheva son café. Il ne savait pas que ce serait le dernier de sa vie. » C’est pas une citation, hein, mais vous voyez l’idée), ou (et celui-là on l’a dans le bouquin), avoir des protagonistes qui préparent des plans dont le contenu est gardé secret du lecteur.

Donc dans Les Loups de la Calla, on a droit au plan qui est mis en place, mais qu’on ne découvre que quand il est exécuté. Personnellement ça me frustre, mais on en comprend la logique : perdre le lecteur autant que nos Pistoleros décident de perdre les locaux en leur annonçant un faux plan, parce que parmi eux il y a un traitre et tout ça… Et c’est normal, et c’est classique, et c’est très codifié, pour une raison simple qui est que le roman appartient à un genre lui-même extrêmement codifié : le Western. C’est une légère spécificité de ce roman au sein du cycle (parce que si je devais décrire la Tour Sombre aujourd’hui en temps que cycle, la meilleure description que je pourrais en faire est : « c’est Zelda Breath of the Wild avec des guns »). Mais, et c'est clairement rappelé par la dédicace de l’auteur en fin de roman : le Western, est, par essence, un genre cinématographique, bien plus que littéraire (les remerciements et hommages de l’auteurs se font uniquement à des réalisateurs, pas même un auteur de Pulp que King aurait feuilleté dans sa jeunesse ou un truc du genre).

La conséquence de cette spécificité est cristallisée dans le moment le plus frustrant du bouquin. Une scène qui passerait crème au cinéma, mais qui sur la page est presque malhonnête. Des pages de conversation, et la phrase la plus primordiale passée sous silence. Phrase qui ne sera révélée que quelques 300 pages plus tard. Et on imagine aisément la mise en scène sur la pellicule : une phrase, chuchotée à l’oreille, dont le contenu n’est révélé que plus tard, une phrase qui change la donne… Cinématographiquement, ça s’imagine sans aucun souci. Mais sur la page, il n'y a aucune raison logique que... mon narrateur omniscient ne le soit soudainement plus. A part pour me troller. 

Et au cinéma ça demande un effort de patience minime, on sait qu’au pire dans une paire d’heures, on aura notre révélation. Mais ici c’est 300 pages. Pour qu’au final, quand la révélation est… révélée, on l’a déjà devinée, largement (parce que le peu qu’on sait du plan nous l’a fait comprendre), et son effet est minime (peut-être est-ce voulu, mais c’est frustrant. Extrêmement).

D’un problème de traduction de langage à un problème de traduction artistique il n’y a qu’un pas. C’est juste que c’est extrêmement ironique que pour une fois ce soit dans ce sens-là, de la part d’une œuvre si souvent qualifiée d’inadaptable au cinéma (1)


1 Ce qui est vrai : c’est en série qu’il faut l’adapter, avec un pilote en mode téléfilm qui reprend l’intégralité du tome 1.


A priori ça a déjà été adapté en série en fait


3. Structure du cycle (Attention je vais spoiler assez salement)


Il faut rendre à ce livre ce qui lui est dû : quand je l’ai refermé, il m’a fallu toute l’énergie du monde et la sagesse accumulée par des échecs similaires dans les temps passés (1) pour ne pas me jeter sur le tome suivant. Et avec joie. Parce qu’en cette fin de tome, on est ni vraiment à un point d’arrêt, ni au milieu du cliffhanger le plus forcé du monde (celui entre les tomes 3 et 4 – des fois je me demande si King avait pas arrêté le bouquin le temps de trouver comment sortir ses personnages de là où il les avait embarqués). Mais l’action paraît « enfin » lancée (illusion qu’on a bizarrement à la fin de chaque tome depuis le deux)


Mais mon gars Stephen si tu ne voulais pas que je me prenne la tête avec des considérations structurelles fallait pas coller une référence à Harry Potter, soit donc le cycle le plus précis, symétrique, cohérent qui soit passé entre mes mains. Parce qu’au sortir du bouquin, la structure du cycle m’apparait encore un peu plus opaque qu’à la sortie du précédent. Pourtant Dieu sait que ce cinquième livre est le plus clair, le plus carré depuis le début, reprenant avec succès des idées et concepts présentés et développés dans les précédents sans en introduire de nouveau (enfin, si, mais plutôt des variations de trucs préétablis disons). 

Mais du coup, on a un peu l’impression que les tomes précédents n’étaient qu’une grande introduction. Les enjeux, le pourquoi de la quête ne sont toujours pas très clair à mes yeux (Si la raison de la quête de Roland c’est uniquement sa vision racontée dans le tome 4, désolé mais moi ça me parait un peu léger), les mystères sont moins nombreux (certains sont résolus de façon terriblement décevante dans ce tome), et… à part introduire Rhéa et les boules du Magicien, c’était vraiment la peine de nous faire 600 pages de flashback dans le tome 4 ?  Surtout pour nous expliquer vite fait que les anciens compagnons de Roland y sont passés tout connement au combat, dans une bataille dont la raison d’être finit par être le mystère remplaçant la manière de leur décès ? Franchement si on tombe par sur Susan en random dans la Tour… Je continuerai à me poser cette question pour longtemps. Oui la longueur du tome 4 reste un point de frustration intense dans ma lecture de La Tour Sombre.

Bref. En cette fin de tome 5, et outre le rebondissement final, on a une équipe en quasi ordre de marche, les portes du méta sont grandes ouvertes, il y a des stratégies à mener dans tous les mondes, on a croisé le second du grand méchant, on est rentré dans le monde "de l'intérieur" … tout cela est très bien, mais on devrait pas plutôt en être là depuis un tome au moins ?

Ou alors (et c’est plutôt logique par rapport à la façon dont l’ensemble du cycle a été, si je le comprends bien, conçu), il faut plutôt considérer le tom 1 à part, et prendre le cycle comme un cycle de six, et même peut être rediviser celui-ci en deux sous-cycles de 3 tomes.

Bref, peut-être à la fin trouverai-je enfin la structure de la Tour, si jamais il y en a une.


Quoiqu’il en soit… Le chant de Susannah m’attend, et je suis hypé à mort. A bientôt, ka-têt du Dix Neuf.


1 J’ai déjà évoqué mes premières tentatives infructueuses de lecture de ce tome 5, mais le fait est que déjà, j’avais essaye de lire le tome 4 dans la foulée du tome 3, est si j’avais été plus loin (genre 200 pages), j’avais également lâché l’affaire.