mercredi 15 février 2012

Up the Bracket (Libertines, Angleterre, 2002)



Oui, j’avais 16/17 ans quand j’ai découvert cet album. Oui, à l’époque, j’admirais encore Muse et Placebo, qui n’avaient pas encore publié les albums infâmants qui me les feraient vouer aux gémonies à peine un an plus tard.
Oui, j’étais adolescent. Et alors, la belle affaire.  Réglons le problème tout de suite : le fait d’apprécier plus un truc du fait qu’on le découvre adolescent n’est aucunement un critère de qualité, mais certainement pas de médiocrité non plus.  Si vous considérez cet état de fait comme une raison pour un album de ne pas recevoir le label qualité, révisez de suite votre avis sur Musset, Rimbaud, Baudelaire ou Les souffrances du jeune Werther : vous verrez que ce ne sont pas des œuvres dont le goût « passe avec l’âge », et la raison en est simple, ce sont juste de grandes œuvres. Il en est de même avec « Up the Bracket ».

Et puis de toutes façons,  autant le dire de suite, quand j’ai découvert cet album, acheté à l’époque sur la seule foi d’une critique « disque du mois » dans le Rock & Folk numéro 423, je me suis senti floué. Je n’ai tout simplement pas aimé ce disque, mis à part les deux premiers moreaux et la chanson-titre. Puis, trop occupé que j’étais à découvrir, en vrac, les Doors, Bowie ou les Who, j’ai purement et simplement laissé tombé cet album, que j’ai  même (c’est à peine si j’ose le dire) traité avec le dernier des mépris. Pensez-bien : il fut une époque, aux alentours de 2004-2005 où, dans mon appartement nancéien, ce disque me servait de sous-tasse, afin que le café qui pouvait s’échapper de mon mug Rolling Stones ne viennent pas salir mon bureau. Et quand je dis le disque, je parle bien du CD sans sa boîte. Après de tels traitements, j’en viens à me demander parfois si ce n’est pas la providence divine qui lui a conservé sa capacité à passer encore dans la chaîne sans tressautement, vu l’état actuel de certains disque que j’aime moins dorénavant mais avait bien mieux entretenus.

C’est bien plus tard, ramené dans le giron des Libertines – et bien après que Doherty ne soit devenu le gibier pour photographe de Voici sous la forme duquel on l’a découvert dans nos contrées – par le second album, que j’ai compris la beauté* de ce disque.  Ce disque n’est pas, comme je l’espérais à l’époque, un disque de revival comme pouvaient l’être d’autres albums sortis à peu près à la même époque (les premiers Vines, Strokes…) C’est un disque de transition, de synthèse. Les Libertines font tout à la fois penser à tout le monde sans jamais vraiment ressembler à personne (ni à rien, ajouterons les toujours prestes haters que le groupe a réussi à créer bien malgré lui). Quelque soit le terme qu’on cherche à accoler à ce disque (morgue, classe, fougue, urgence) , il lui va comme le gant qui fut porté plus tôt par un autre groupe anglais, qu’il s’agisse, au choix, des Kinks, Clash, Smiths, Blur (comme par hasard dans l'ensemble des groupes dont les textes sont loin d'être mauvais...), j’en passe et des meilleurs et des majeurs comme des mineurs.

"So great I cried". Le NME, tout dans la mesure comme moi, honnête comme mon ex.

En ce sens, la carrière météoritique du groupe et totalement justifiée (symboliquement s’entend), passeur qu’il fut entre le XXème et le XXIème  siècle, symbole d’une génération éphémère : la mienne, celle qui, coincée entre les fouilleurs de bacs et les fouilleurs de liens a fait l’essentiel de sa culture en gravant des CDs empruntés à des potes où à la médiathèque. Une génération fin de siècle, qui, après les cyniques 80’s et les dépressifs 90’s a voulu, l’espace de 12 pépites et 36 minutes parfaites, croire à nouveau en un romantisme flamboyant, rageant et classieux, en un élan de sturm und drang sur fond de guitares saturées qui finit par converger vers cette phrase qui résonne comme un manifeste :  if you've lost your faith in love and music the end won’t be long.

Il y a 10 ans, j’étais un jeune étudiant déçu par un album du mois acheté à la sortie d’un cours de maths long comme un jour sans pain. Aujourd’hui, j’écoute pour une énième fois un album que je trouve éternel en me demandant comment j’ai pu passer à côté à l’époque, en attendant mon « entretien d’évaluation personnelle » annuel. Il y en a, des disques que j’ai fini par renier, la maturité, l’évolution de mes goûts et l’arrivée de l’âge adulte aidant. Mais il faut croire que toute la maturité du monde ne pourra pas enterrer celui-ci.

Le jour où je finirais par aimer moins, voir des défauts, ou, pire, dénigrer « Up the Bracket », ce ne sera pas parce que je serais devenu un adulte… mais un vieux con. Dieu m’en garde, pour l’instant, I get along.



 



* C’est fou ce que les clichés et tics d’écriture ont comme force : par peur du vide qualificatif, j’ai quand même failli coller un « vénéneuse » ou un « diaphane » qui n’a rien à foutre là.