A moon shaped pool (Mai 2016)
L’écoute de cet album, dans le cadre de cette rétrospective m’offre une
surprenante symétrie : on finit comme on a commencé, avec moi qui découvre
un album de Radiohead quelques 6 ans après sa publication.
Mon ressenti de cet album (écouté avec une certaine (ir)régularité tout au long de l’écriture de cette série, sachant qu’il en serait le point de fuite), a traversé des phases qui n’ont pas été sans me rappeler mon vécu d’In Rainbows, d’un rejet initial à un dédain à une admiration certaine quand quelque chose, soudain, à décliqué. C’est clairement un disque qui n’a pas ses intros de morceaux pour lui. En fait, c’est possiblement le disque de Radiohead le plus cliché qui soit tant il est difficile à apprivoiser au détour d’une écoute distraite. S’il a plus à certains dès la première écoute, c’est possiblement plus par contraste avec l’opus précédent (on retrouve dans A moon shaped pool une organicité, et même, dirais-je, une âme, terriblement absents de son prédécesseur), que sur les pièces présentées (sauf Decks Dark, seul morceau « immédiat », qui n'est pas sans rappeler… The Daily Mail). C’est un album auquel il faut laisser du temps pour se révéler, parfois même au sens littéral (Ful Stop et son intro de 2 minutes).
Pourtant, sur cet album, Radiohead se permet d’une certaine façon des faire
des choses « faciles » à nouveau. Et, bien évidemment, ça marche. Je
ne veux pas être caricatural (et de toutes façons je n’ai pas les connaissances
musicales suffisantes pour appuyer mes dires), mais je crois bien que c’est le
premier album à présenter autant de morceaux bâtis sur un crescendo depuis...
au mieux Kid A, au pire OK Computer. Et vu que c’est ce qui nous avait
convaincu à l’époque (je suis une midinette des crescendo), évidement qu’on adhère.
Au point de se retrouver plus surpris par cet album qu’on ne l’avait été depuis
une paye, entendant le morceau commencer super bas et super mou, avec une
batterie claire, on se dit « ouais, bof », et on finit collé à son
siège, peinant à croire que le voyage qu’on vient de se taper dure la même
longueur que les tunnels d’ennui de l’album précédent, quand ce n’est pas moins,
regrettant parfois que ça n’ait pas duré plus longtemps (la fin
ultra-frustrante d’Identikit)
Je suis presque à court d’adjectifs pour caractériser mon ressenti, je dois
bien l’avouer. Ce disque est splendide, mais aussi très différent de tout ce qu’a
pu faire le groupe auparavant. Il est emprunt d’une tristesse marquée, mais tout en retenue. Alors que dans l’ancien temps on accompagnait les
crises de panique de Thom Yorke, on est ici face à un homme désespéré mais
digne, à l’émotion rentrée et refusant de laisser les larmes s’écouler. Mais
celle-ci finit toujours par ressortir, sous une forme ou une autre. La plupart
des morceaux s’ouvrent dans un dépouillement quasi-total (un piano, une
guitare), mais envahi de fantômes (ces petits bruits dans le fond, vagues (de)
musiques, cloches ou harpes, fantômes – dont la spatialisation justifie vraiment l’écoute
au casque (Desert Island Disk en tête) - putain cette phrase de snob).
Il y a quelque chose d’unique, sentimentalement, dans le fait d’être
(agréablement1) surpris par la dernière sortie d’un groupe qu’on
aime. Je crois que, dans ces largeurs, cela ne m’était arrivé par le passé qu’une
seule fois (et ça s’appelait Push the sky away). C’est comme (parodiant Richard
Anthony dans un sanglot) retomber amoureux de sa femme. Pourtant avec cet album
de Radiohead, il y a quelque chose.. de différent. Pas quelque chose qui
bloque, mais quelque chose de différent. Peut-être ai-je vieilli (ou alors c’est
eux), mais cet album, certes je l’aime, certes j’en vois les qualité, mais… j’ai
l’impression de l’aimer dans le vide. Peut-être est-ce la désincarnation de la
musique, ou, plus probablement, le silence radio de 5 ans après un album que j’avais
dédaigné (pour rappel j’aurais clairement enfin pu voir le groupe sur scène en
2011, c’était financièrement possible et mon boulot de l’époque j’aurais grave
pu être sur le site de la Fnac à 10 :00 du mat’, mais l’album m’a fait me
dire que c’était pas la peine…), qui fait que, pour une fois, on n’a pas pu
vraiment voir l’évolution de Radiohead entre l’album précédent et celui-ci.
Mais c’est aussi ce qui fait, je pense sa valeur, en partie. Parce que c’est un
album de Radiohead. Et il m’apparait nécessaire de rappeler qu’à ce
moment là (2015 / 2016), même le batteur a sorti un album solo. Johnny Greenwood
fraye avec P.T. Anderson (avec succès), et Thom Yorke a sorti son second album
solo… Ils n’auraient pas sorti un album sous le nom de Radiohead s’ils n’en
avaient pas eu besoin. Et par là j’entends un besoin viscéral, pas que
financier, je pense qu’on peut être sereins pour eux sur ce point là.
Alors oui, il est difficile de ne pas insérer au forceps le contexte :
Thom Yorke divorce, il a besoin de ses potes autour de lui pour faire ce qu’ils
font de mieux : chouiner sur des guitares. Johnny a bossé à fond sur des
instrumentations de cordes pour There will be blood et al ., c’est sa marotte
du moment (ça change des ondes Martenot), donc il apporte ça. Colin s’ennuie un
peu alors il décide de forcer un peu la basse sur certains morceaux (avec
succès – de toutes façons c’est peut-être le membre du groupe le plus sous
-estimé.) Ed, lui, ben, il fait ce qu’on lui dit de faire (Ed, vraiment, on a
toujours l’impression qu’il est juste content de pouvoir trainer avec ses
potes. Il est bizarre par sa non-bizarrerie au sein de Radiohead, c’est fascinant).
Et l’album, par conséquent, d’être possiblement le plus unique du groupe, nous
prenant au dépourvu en sortant littéralement de nulle part (« extra res »
si la locution existait). Il ne se définit ni dans la continuité du précédent,
ni dans son opposition. Il ne se définit pas par rapport à sa situation dans la
carrière du groupe… il est. Et c’est tout. Mais rien n’est jamais vraiment neuf
ou novateur, donc forcément on retrouve des éléments qui font penser à autre
chose… En particulier les cordes, fameux "ajout" spécial de cet album. Quand bien même j’ai vu un certain nombre des
films dont il a écrit la musique, je ne connais pas forcément l’œuvre »cordée »
de Greenwood plus que ça… du coup moi quand j’entends les cordes débarquer
dans, par exemple, « The Numbers », c’est le nom de Jean-Claude
Vannier qui me saute aux oreilles (allons plus loin : c’est un morceau
entier qui fait se dire « Tiens, quelqu’un a réécouté « Cargo Culte »
il y a pas longtemps) – Et c’est le cas de nombreuses irruptions de cordes (ces
grands élans de violoncelle, que personnellement
j’adore).
Flottant comme une île au milieu de... d'une piscine en forme de lune (ils précisent pas la phase de la lune mais j'ai tendance à croire: pleine), seul et sans semblables, cet album, c'est les retrouvailles, mais aussi la redécouverte... et la redécouverte de la découverte, si vous voyez ce que je veux dire. Il a peut-être fallut que je gratte 15 000 mots sur le chemin, mais pour en arriver là... ca valait le coup.
Et évidement, ces retrouvailles de s’achever sur une apothéose que je n’aurais
pas cru possible. True Love does wait. Cette version dépouillée,
cristalline… paralysante, si je suis honnête.
J’ai souvent dit (et il est possible que j’aie répété cette théorie au sein
même de cette rétrospective), qu’il existe deux genres de groupes de rock :
ceux qu’on aime parce qu’on voudrait être eux (au nombre desquels je vers les Rolling
Stones, les Guns n Roses, par ex) et ceux qu’on aime parce qu’on se reconnait
en eux (dans mon cas de weirdo : Weezer, les Smiths, …). Admirable vs. Reliable.
Peu de groupes transcendent cette distinction, des groupes dans lesquels on se
reconnait encore tout en les sachant inatteignables, qu’on regarde d’en bas,
mais dans les yeux. Radiohead en fait partie. Mais depuis quelques années ils
paraissaient trop haut pour encore offrir cette projection, cette
identification. Et d'un coup, nous sommes à nouveau à niveau.
Certes c’est à la faveur d’une chanson de 1995 que cela arrive. Et il a
fallu que de très difficiles choses nous arrivent, à Thom, comme à moi, pour
que l’espace d’un peu moins de cinq minutes, il me parle, directement. C’est
absurde comme ce simple « wash your swollen feet » (qui ne rime même
pas et devrait donc être le pire vers du truc) m’a brisé, invoquant visions de douleur et de maladie, mais aussi de soin et de dévotion totale. Je dois bien le dire,
j’ai du mal à écouter cette version sans finir a minima larmoyant, cette
chanson invoquant le souvenir de moments difficiles mais surtout, appelant avec eux tout
ceux qui les ont rendu vivables. Encore une fois, me voici m'appropriant une chanson au mépris de son sens premier, pour une fois tellement simple et évident.
Si la carrière du groupe s’achevait sur cet album (ce qui, bizarrement, ne
me surprendrai pas tant que ça), je serais presque OK avec ça. OK, avec le fait
qu’un groupe que j’ai aimé parce qu’il traduisait mon mal-être de petit ado qui
ne demande qu’à être aimé mais reste si seul, dans son dernier titre jamais
publié, et pourtant directement issu de cette période… me fait chialer de
reconnaissance d’avoir, autour de moi, tant de gens qui m’aiment et me supportent (dans tous les sens du terme).
Merci à tous de m’avoir lu.
Plus mauvais titre: Je n’en reviens pas de dire ça (et c’est peut
être lié au fait d’avoir littéralement vécu avec cet album ces dernières
semaines, mais je ne pense pas qu’e cet album ait un mauvais titre. Du coup, en
« plus mauvais », je suis un peu obligé de dire « Present Tense »,
mais plus parce que rien ne le fait sortir du lot qu’autre chose.. (Ca aurait
pu être « Glass Eyes, mais Thom Yorke qui se prend pour Nick Drake, qui
pourrait détester ?)
Meilleur titre pas sorti en single : Identitik, pas de débat, mon titre
préféré de l’album, limite j’en ai pas causé dans le cœur de l’article pour pas
vous coller 3 pages dessus.
Meilleure face B de single de la période : Mais enfin, mon bon ami, les faces
B ça ne se fait plus. Maintenant les morceaux ils sortent tous seuls, sur le
Spotify. Mais je m’en voudrait de ne pas citer ici « Spectre », dont
je reste dégouté de ne pas l’avoir vu sélectionné comme titre d’ouverture de
film parce que franchement, comme tu fais un générique « classique »
de James Bond sur ce titre.
1 Je précise « agréablement » parce que j’écoute encore les
sorties récentes de Muse, et je continue d’être surpris.