lundi 24 janvier 2022

BioRadioSpective - Episodes 4, 5 et Interlude 2

J’ai pendant longtemps considéré traiter ensemble Kid A et Amnesiac ce qui a du sens (non seulement vis-à-vis de Radiohead mais vis-à-vis de moi) mais le fait est que plus j’écoute plus j’ai des trucs à dire, et je n’ai pas envie de vous sortir un pensum total. Puis j’avais décidé de faire un interlude. Puis non. Voici l’étape où nous sommes. 

Donc en préambule à la discussion sur Kid A, permettez-moi de partager avec vous, de façon séparée, la partie biographique de l’affaire.

En fin de l’article précédent je vous disais que la chronologie allait retrouver ses droits et, si c’est vrai (je crois), dans mes mémoires c’est un peu plus chaotiques. Je crois (je dis bien je crois) que j’ai bel et bien obtenu les albums dans l’ordre de leur sortie. Mais même ça je n’en suis pas certain.


Kid A (Octobre 2000) / Amnesiac (Juin 2001) / I might Be wrong (Novembre 2001)

Une belle brochette de joyeux drilles

Kid A
gravé sur un CD Fnac (pour graveur audio, je sais pas si vous vous rappelez que c’était un truc ça), par un pote, sur la base du CD acheté par un autre (des gars de l’aumônerie : JD, Antoine, si vous me lisez…). Et Amnesiac gravé sur un disque BASF, par un pote du lycée (qui m’en a gravé des trucs sur des disques BASF. J’en ai encore quelques-uns d’ailleurs. Louis, si tu me lis…) Enfin, l’EP live « I might be wrong », je l’ai acheté chez Gibert, avec comme souvenir de l’avoir pris « faute de mieux » ce jour-là… Mais du coup j’étais probablement déjà en prépa… ? Toujours est-il que, si je ne parviens pas forcément à me rappeler l’ordre d’acquisition de ces disques, je me rappelle dans quel ordre j’ai appris à les aimer et c’est pourquoi je suis un peu obligé de casser à nouveau la chronologie (je suis un véritable Marty Mc Fly c’est fou).

Ou l’on retourne en 2001 mais avant que notre monde ne s’écroule

Alors que je découvrais OK Computer sortait Kid A. Aucun single n’est officiellement sorti pour promouvoir l’album, mais un tel évènement ne pouvait pas ne pas tourner en radio (a fortiori Oui FM qui n’était pas encore le faux RTL2 que c’est devenu). Et le choix des programmateurs s’était porté sur Optimistic, ce qui n’est pas bête, parce que c’est le titre le plus proche de ce que pouvait faire le groupe avant Kid A, mais est aussi le pire titre à choisir pour présenter l’album dont il est extrait. Ça s’est un peu rattrapé après vu que le second extrait qu’ils ont commencé à diffuser c’est « Idiotheque » et là effectivement ou voit bien que c’est plus la même limonade.


Et, moi, dans un refus d’obstacle que je ne suspecte que trop commun chez beaucoup de fans du groupe, je n’aimais pas Kid A plus que ça. J’en écoutais régulièrement quelques titres (« Everything in its right place », «  How to disappear completely » et les deux extraits sus-cités) mais j’aurais bien du mal à dire que j’aimais l’album. En plus, balle dans le pied de Kid A (pauvre petit), il ne s’est passé que 8 petits mois avant que ne sorte Amnesiac. Amnesiac avait des singles, officiels. Qui étaient quand même beaucoup plus en terrain connu : Knives out, en particulier, c’est « du Radiohead » pour l’auditeur de l’époque. Et donc, pendant une période assez longue, j’ai beaucoup plus écouté Amnesiac que Kid A. Aimé plus, même. Ce qui me dépasse un peu avec le recul, parce que les morceaux « électro » d’Amnesiac (Pull Pulk Revolving doors, typiquement le premier qui me vient en tête) sont autrement plus clivants, désagréables à entendre qu’aucun morceau de Kid A ne l’est. La logique des refus d’obstacle… n’est pas très logique.

Il m’apparait important aussi de noter que 2001 est l’année ou je commence à lire la presse Rock et que j’ai deux souvenirs important autour de la sortie d’Amnesiac. Ma découverte de Rock Mag (en TP de physique si vous voulez savoir, le n°3 ou 4 je crois) qui avait cette habitude de publier avant les sorties d’albums le tracklisting commenté. Le nombre de disques que j’ai imaginés avant même leur sortie en lisant ces pages… Plus de vingt ans plus tard, les mots « Enterrement à la Nouvelle Orléans » continuent de surgir dans mon esprit chaque fois que j’écoute « Life in a Glasshouse ». Aussi c’est en partant en vacances cet été là que j’ai acheté pour la première fois Rock & Folk, avec Radiohead revu par Thiery Guitard en couverture, qui m’amènera à découvrir les Doors dans la foulée. (Je ne deviendrai lecteur régulier qu’un an plus tard cependant).

 Et du coup un peu plus tard j’achète cet EP live « I might be wrong ».. pour les titres d’Amnesiac qui sont dessus, à l’évidence (Si vous n’aimez pas la version album de Like Spinning plates, la version live vous transcendera). Longtemps, longtemps je le mettais directement plage 2 en le lançant. Et puis un jour j’ai dû oublier de le faire. C’est peut être ce jour béni que mon cerveau a décidé de redonner une chance à Kid A.

 

Où notre narrateur aime Kid A mais ne comprends pas de quoi ça parle

 

Mon cerveau oui, parce que pendant longtemps je n’ai eu qu’une relation intellectuelle à cet album. Et vous savez quoi ? C’était (je le réalise dorénavant) un très bon signe. J’en admirais le génie (fatalement), la cohérence (l’absence de single, même si elle peut passer pour un caprice du groupe, est une évidence tant l’album est un album en tant que tel), et évidement la beauté de certains passages. Mais Kid A est aussi un album de la frustration. Un disque qui se plait à ne jamais nous laisser nous installer trop dans une zone de confort, tirant le tapis sous nos pieds dès qu’on essaye de pendre nos aises. Un disque qui nous refuse d’entendre la voix de Thom Yorke clairement pendant ses 3 premières plages. Un disque dont on sent qu’il est peut-être un concept album mais dont on serait bien en peine de dire sur quoi (je vous propose ma théorie sous peu).

Mais c’est aussi un disque abouti, et c’est en quoi, rétrospectivement, il dépasse clairement son successeur à mes yeux. Amnesiac a tendance à être soit « trop rock » soit « trop electro », si j’ose dire. Beaucoup ont tendance à le voir comme un ensemble de chutes de studio de Kid A (et soyons sérieux : des chutes de studio de cette qualité ce serait dommage de pas les sortir, c’est clair), et j’ai tendance à être un peu (très) d’accord, à y voir les tâtonnements d’un groupe qui cherche un juste milieu. Et le juste milieu est partout sur Kid A, qui rejette l’auditeur tout en gardant son attention, qui alterne dissonance et soudaine envolée de beauté, malaise et splendeur.

Cohérence, là est le maître mot. Kid A est presque un anti-concept album au sens ou il en est un en tout, sauf le fait que ses auteurs le revendiquent comme tel.

Pourtant comme je le disais il m’a fallu quelques années pour vraiment trouver de quoi me parle Kid A. Longtemps j’ai beaucoup aimé la théorie de Chuck Klosterman sur le fait que Kid A parle du 11 Septembre un an avant qu’il n’ait lieu. Déjà parce que c’est « amusant », et puis je dois avouer que mon cerveau trace déjà un lien bizarre entre « The National Anthem » et « Le Grand incendie » de Noir Désir [Et même plus largement il y a un parallèle intéressant sinon un peu fainéant à dresser entre Kid A et Des visages de figures] qu’on a aussi tendance à aisément relier à l’évènement fondateur du XXI eme siècle, surtout que pour le coup il est sorti le jour même c’est quand même fou la vie.

 Mais non, pour vraiment comprendre, et même plus, ressentir, Kid A, il m’aura fallu 20 ans, une pandémie mondiale, une maladie personnelle non reliée à la pandémie mondiale et un spectacle d’humour qui ne fait qu’à moitié rire.

 

Où un comique de Boston fait irruption dans l’article.

 

Au sortir d’une année 2020 qui a été dure pour tout le monde, l’humoriste Bo Burnham a sorti un Netflix Special intitulé « Inside ». J’aimais déjà beaucoup Burnham pour ses spectacles précédents, trouvant en lui un des humoristes musicaux les plus originaux que je connais. Jamais dans la parodie, ne se limitant pas non plus au pastiche, et surtout, capable de sortir des morceaux vraiment, vraiment bons (Allez jeter une oreille sur  « Art is Dead », « Country Song » ou « Straight white male »– tous les morceaux de « Make Happy » sont dingues en fait, ou, si vous aimez les jeux de mots rappés si vite que c’est chaud de suivre « Oh Bo ».) Mais surtout, son special de 2016 (Make Happy, donc) s’achevait sur un pastiche de Kanye West causant de façon très sérieuse de sa relation conflictuelle à son public : ce besoin/ rejet de l’artiste face à son public, ayant besoin de lui mais le craignant tout à la fois.

C’est un final qui laisse sans trop savoir quoi penser (et sur une note plutôt amère pour un spectacle d’humour) et c’est clairement le but. Inside, c’est plus d’une heure de ça, à l’aune de la pandémie, agrémenté de réflexions sur la santé mentale en général et du lien d’amour / haine qu’on se doit d’avoir vis-à-vis d’Internet (Facebook me vole mes données mais est le meilleur moyen d’avoir des nouvelles de ma famille pourrait être un bon sous-titre du special). C’est une visionnage difficile, et si l’on rit, on est aussi assez mal à l’aise une bonne partie du temps (je n’ai pas honte de le dire, j’ai fini mon visionnage en larmes, et je ne sais pas de quoi elle étaient – j’essaye de me convaincre qu’elles étaient de soulagement). Il me parait utile de préciser aussi que, si les morceaux du special font partie de mes plus écoutés de l’année 2021, l’œuvre en elle-même déploie des trésors au sein même de sa mise en scène et réalisation et qu’il serait dommage de se limiter à une version « audio » .

Mais les deux œuvres se rejoignent dans mon esprit. Un sentiment similaire les traverse. Un isolement. Une difficulté à communiquer. Une impossible envie d’échapper à quelque chose, à quelqu’un, à soi-même.


Well, well, look who's inside again...

Le choc du à cette expérience m’a aussi aidé à prendre conscience, sur un plan personnel, de la façon dont 2020 m’avait éclaté (outre physiologiquement) et qu’il était maintenant nécessaire que je prenne en main ma santé mentale (avec 15 ans de retard ? peut-être). Et moi de réaliser quelques trucs vis-à-vis de mes propres tendances à l’anxiété. C’est chiant et difficile (et bizarrement s’en rendre compte fait limite empirer les choses… ?) Mais en tous cas j’ai compris quelque chose d’inattendu en chemin.

 

Où l’on découvre que le vrai Kid A ce sont les amis qu’on s’est fait en chemin

 

Kid A est une longue crise d’angoisse de 50 minutes. Au début tout va bien mais quand même quelque chose déconne. Comme lors de toute bonne crise d’angoisse le son se réduit les voix s’éloignent jusqu’à ce qu’on se renferme sur soi, le sang battant aux tempes, le chaos frappe, on se répète en boucles des phrases pour se rassurer, on sait que ça va passer mais on arrive pas à le ressentir et le chaos nous reprend et nous englobe, on essaye de se calmer en méditant, en se répétant des choses rassurantes et en s’en demandant moins mais on y crois qu’à moitié 1 et au final on se fait bouffer par l’agressivité du monde hyper stimulant, n’offrant aucun repos, la crainte du futur, l’ultra moderne solitude dans la foule2… Et ça recommence pareil le lendemain. Générique de fin.

(J’ai failli vous mettre les chiffres des morceaux mais c’est plus drôle si vous le faites vous-mêmes)

La peur, l’incertitude, l’incapacité à ce qu’on nous laisse tranquille 5 minutes pour rassembler nos pensées, l’anxiété permanente, les injonctions de tous sur tout tout le temps… en 20 ans, d'hyper connectivité en pandémie, de menace terroriste en menace climatique... nous avons tous pu découvrir ce qu’était d’être Thom Yorke en 2000.

J’ai tendance à dire qu’il y a deux grandes catégories de groupes de Rock : ceux qui nous rappellent nous-mêmes, et ce qu’on aimerait être. En quelque sorte c’est également la frontière entre « pop » et « rock », souvent. On aimerait être les Guns n’ Roses, les Stones, Oasis. Mais on est (je suis) souvent plutôt Weezer, les Smiths, ou Radiohead. Dans mon cas, Kid A est un album avec lequel j’ai fini par faire un chemin inverse. Un album que j’ai commencé à apprécier, non pas parce qu’il me rappelle ma vie, mais parce qu’à un moment ma vie m’a rappelé cet album – et par extension, l’angoisse d’être Thom Yorke en 1999 (toutes proportions gardées – en particulier financièrement).

 

Et en ce sens Kid A est probablement l’album le plus intime du groupe, et c’est pour cela qu’l fallait soudainement en désincarner la musique. Quand « The Bends » raconte la difficile ascension du groupe, on peut encore le faire frontalement parce que c’est presque factuel. Mais quand on touche à ce niveau d’ouverture de tripes, il faut que quelque chose, quelque part, permette de conserver ses distances. Et pourtant, elle est là, la viscéralité. Et Radiohead de soudainement nous forcer à redéfinir ce qu’on entend par « Sincérité » en musique.

 

Où l’on se demande si c’est bien la peine de faire un épisode 5 du coup.

 


Le grand mystère d’Amnesiac à mes yeux reste son existence. Volonté de ramener un peu dans le giron du groupe ceux qui ont été trop rebutés par Kid A ? J’en doute. Envie de sortir des morceaux qui sont quand même bien, faut pas déconner ? Peut-être. Reliquat d’un album qui aurait du être double mais qui finalement ne le fut pas ? La réédition des deux ensemble l’an passé me le ferait croire. Toujours est-il qu’à part pour remplir des créneaux radio avec des titres « officiellement faits pour », je ne suis pas certain de l’intérêt de l’album. Il contient ses très beaux titres (hors singles, You and Whose army ? et Life in a glasshouse sont dans le haut du panier). Mais l’album a pour défaut d’avoir été conçu en même temps que son prédécesseur, et un des trucs intéressants avec Radiohead, c’est de découvrir ce qu’ils ont bien pu nous sortir cette fois -ci. Huit mois ce n’est pas assez pour créer cette attente et vu la réponse qu’il apporte à une question qu’on n’a jamais posé… A terme il reste probablement l’album le moins intéressant du pur point de vue analytique) du groupe.

(Et I might be wrong, donc? Eh bien a part que c’est le seul témoignage live officiel du groupe, et qu’il contient la première  version de True Love Waits [qui sortira « officiellement » en… 2016], pas grand-chose à en dire. Si, la version de National anthem a pas les trompette de l’enfer donc elle est plus accessible. Ce qui ne veut pas non plus dire grand-chose vu que c’est, de base, le morceau le plus bizarre de l’album)


 

Où l'on fait un petit bilan comme on l'a fait sur les épisodes précédents

 

Kid A :

Plus mauvais titre: In Limbo, parce que j’arrive pas trop à le contorsionner dans mon concept pour cet album. et aussi qu'il est probablement le seul morceau de l'album à ne pas avoir ce petit "truc" à soi.

Meilleur titre pas sorti en single : Everything in its right place. Opener parfait, on sait à quoi s’en tenir avec l’album, et les versions live sont toujours folles.

Meilleure face B de single de la période : N/A

Leçon de vie: "The best you can is good enough" évidement

 

 

Amnesiac :

Plus mauvais titre: Dollars and Cents. (De façon amusante un des rares numéros des Inrocks que j’ai jamais acheté avait un sampler, avec ce titre justement en extrait de l’album. On partait sur des bonnes bases ce journal et moi).

Meilleur titre pas sorti en single : You and whose army ? C’est pas pour rien que c’est un classique « en creux » aujourd’hui et qu’il est encore joué sur scène pour le plus grand plaisir de tous.

Meilleure face B de single de la période : Cuttooth, face B de Knives Out. Non seulement c’est un très bon morceau (très REM dans l’esprit) mais une partie de ses paroles a été recyclée pour créer un de mes morceaux préférés du groupe sur ‘l’album suivant. (Franchement Knives out offre une collection de faces B extraordinaire)

Leçon de vie: N/A

 

(Et maintenant que j'ai fini cet article, je vais pouvoir aller lire "This isn't happening ", livre sur la genèse de l'album que je me suis offert pour Noël.)

1 Des années durant j’ai compris les paroles d’Optimistic à l’envers parce que 1, la formulation « You can try the best you can / the best you can is good enough” ça sonne totalement bizarre (« isn’t “ clashe beaucoup moins avec le vers précédent, et en plus 2 la musique semble confirmer mon interprétation.

2 Thom Yorke, visionnaire : comment ne pas entendre les paroles « Ice Age coming / we’re not scaremongering / this is really happening” aujourd’hui sans se dire qu’Idiothèque devrait être l’hymne officiel du GIEC ?
Aussi je suis convaincu que la reprise de l’expression « Everything all of the time » dans le « Welcome to the Internet » tiré d’Inside n’est pas une coïncidence.