Ca fait quarante
huit heures que je me sens terriblement mal. Je n’arrive plus à rien, paralysé
par un cerveau qui ne veut pas fermer sa gueule, et qui entraine dans sa chute
un organisme qui décide de jouer la partie contre moi : à la fois affamé
et nauséeux, la respiration en vrac (trop courte pour les poumons, trop longue
pour ma gorge qui m’enjoint à tousser au moindre influx d’air). Immanence du
mal-être qui mobilise toutes mes ressources pour alimenter sa propre
souffrance. Physique, psychologique. Spirale vicieuse (donc de Moebius, pour qu’elle
puisse se refermer.)
Autant dire que ce concert, que j’attendais avec une certaine impatience (c’est mon premier concert en presque 10 ans quand j’y réfléchis, c’est fou), j’ai peur de comment il va se passer. Et on a à peine déposer la petite chez mes parents que madame me le fait sentir, qu’elle me sent pas, ce soir.
J’ai pourtant
envie de faire honneur à cette soirée. Ces billets, c’est Thomas qui me les a
offerts pour mon anniversaire, à l’occasion d’une réunion de vieux blogueurs
qui se serait en fait suffit à elle-même comme cadeau d’anniversaire. Et puis
il y a une tendresse, une symbolique dans ce cadeau : Jessie Malin, sans
Thomas, je ne saurais pas qui c’est. Et cil vient de publier un panégyrique sur
le gars et sur l’importance que celui-ci a pu avoir au sein des temps
difficiles qu’il a pu traverser ces derniers temps.
On se retrouve
tous quatre (Thomas, moi-même et nos chéries), à la
sortie du métro Pigalle et on trouve une petite brasserie où manger un morceau
avant l’ouverture des portes de la boule noire. On prend des tatares, ces dames
prennent des salades, c’est pas très progressiste de notre part mais c »’est
ainsi.
On entre enfin
dans la salle et le stand de merchandising me tend les bras et m’arrache les
yeux. Ma chérie me lance un inattendu regard d’approbation qui me fait
comprendre que j’ai carte blanche sur la carte bleue. On va se lâcher, parce
que tristement, je n’ai aucun disque de l’artiste respecté qui se produit ce
soir (il est très mal distribué en France, donc le stand de merch de son
concert c’est mieux que la Fnac, et pour qui ne renâcle pas à acheter des CDs
en 2023 – j’en fait partie – c’est même très honnête). Après plusieurs aller
retours hésitants, je reviens avec 4 albums (dont mon chouchou en vinyle Edition
limitée rose pétant)
La première
partie est une première bonne surprise. Un gars à la guitare sèche, l’autre à
la mandoline électrique. Trapper Shoepp est un gars à l’aise, causant, qui nous
raconte les anecdotes qui vont avec les chansons qu’il nous propose, il joue
quelque six ou sept titres, tous plutôt sympa, on rigole, et ma femme en plus
se sent soudainement transportée dans le temps, de retour au Colorado ou les
scènes ouvertes débordaient de singer songwriters à influence bluegrass. Je regretterai
presque sa carte blanche précédente, parce que du coup elle s’en octroie une
sur le stand de merci de la première partie. Enfin je dis ça pour la forme, en
fait elle se dévoue à ma place, pour l’album, comme pour le T-shirt « This
isn’t fun anymore », message doux amer qui résonne trop bien avec les
difficultés actuelles de nos vies. (Et sonne comme un titre de chanson de
Morissey)
Puis Jessie entre
en scène avec son groupe. On a beau être sur la tournée anniversaire de « The
fine art of self -destruction » (oh ironie mordante, j’ai l’impression d’y
être ceinture noir depuis avant-hier), il attaque avec des titres récents.
Quand bien même je suis peu familier de ceux-ci, que voulez-vous que je dise ?
Ils sont super. Et au milieu, une reprise de « If I should fall from grace
with God » des Pogues. Que demande le peuple ?
Ben a priori le
peuple il demande quand même ce pour quoi il est venu, enfin ce qu’il y avait
sur l’affiche, donc on attaque l’album. Dans l’ordre. Une façon de faire les
choses avec laquelle j’ai parfois quelques soucis (j’ai la méga flemme de
chercher mais je sais que je dénonçais la pratique sur mon blog il y a quelque
dix ans), mais que Malin émaille d’anecdotes sur l’histoire des chansons, de l’album,
souvent douces-amères mais tout aussi souvent drôles. On croise dans ses
anecdotes beaucoup de fantômes, mais toujours avec cet angle qui fait les beaux
enterrements : la joie d’avoir connu plutôt que la tristesse d’avoir
perdu.
Une surprise
vient cependant interrompre l’enchaînement prédéterminé de la tracklist, et (je
dois être en veine), c’est littéralement un des titres que j’avais, en plaisantant à
moitié, évoqué vouloir entendre quand nous discutions de l’organisation, avec
Thomas, au téléphone, deux jours plus tôt, pendant que ma fille hurlait en
arrière plan : la reprise de Bastards of Young, des Replacements, qu’on
trouve sur Glitter in the Gutter.
Quelques quinze
minutes après avoir hurlé à tue-tête les « I don’t know » » de
Wendy, ma catharsis se continue en m’égosillant sur cet hymne de loser, que
reprennent en chœur tous les « sons of no one » de la salle. Et moi
de redoubler de vois sur le pont qui exprime le sentiment le plus commun mais
le plus frustrant de l’existence. J’ai la flemme de le réécrire ici, ceux qui connaissent
savent de quoi je parle, les autres allez découvrir cette pépite.
Le fin de l’album
se déroule sans accroc ni surprise, chacun perdant un peu le fil passé l’endroit
ou il arrête généralement d’écouter l’album. (Personne ne va à chaque fois jusqu’à Xmas,
soyons honnêtes). Je serai bien en peine de vous dire quand, précisément, j’ai
eu mon épiphanie du soir, mais c’est sous son influence que le « Meet me
again at the end of the world » final, j’ai pu l’apprécier à sa juste
valeur.
10 ans que je connais ma femme (et Thomas la sienne), 15 ans que Thomas et moi on se connait. Tous, on en a connu des emmerdes diverses et variées. Et nous voici tous réunis, dans une salle de concert, se sentant bien, heureux. Parce qu’on a beau morfler, on est là. On est vivants. Et à travers ses titres écorchés autant que ses anecdotes drolatiquement tristes, Jessie Malin est un des nôtres. Non, plus encore. Il est le symbole même d’un mot tellement surutilisé qu’on en a bazardé le sens, il est là, debout, splendide : notre apôtre de la résilience.
Ce soir, The Fine
art of Self-Destruction, album que j’aimais déjà, vient de passer à un stade
supérieur, symbolique : une œuvre pour se rappeler que ça ira mieux.
Quand ? on s’en fout. L’important c’est que ça arrivera. Garder la volonté.
Je leur dois bien ça, aux gens qui m’ont entouré comme à lui, revenu de tout
pour jouer dans une salle de même pas 200 personnes où, exception faite de ma
femme, je suis le cadet.
N'empêche, c’est
pas tous les jours que ton cadeau d’anniversaire te permets de sortir d’une
crise existentielle.
Apposé à sa signature,
sur mon vinyle, sont ces trois lettres : PMA. Pour Positive Mental
Attitude, avait-il expliqué pendant son set. On va essayer.