samedi 27 novembre 2021

BioRadioSpective - Episode 2

 

The Bends (Mars 1995)

 

N’y allons pas par quatre chemins : the Bends est un des rares albums que je n’hésiterai pas à qualifier de parfait. Cela en fait-il le meilleur album du groupe ? Non. Et si c’est ce genre de phrase qui fait que ma femme me traite de snob, cela n’en reste pas moins vrai.

Qu’entends-je par album parfait ? J’entends par là que toutes les chansons de l’album sont a minima bonnes (même si en fait on va souvent taquiner au sublime). Donc que je n’ai envoie d’en sauter aucune quand je l’écoute. A cela s’ajoutent le fait que les morceaux d’ouverture et de fermeture sont parfaits (en tant que tels et à leur place dans l’album, c’est toujours important), que les singles (nombreux) sont tous bons mais n’enfoncent pas le reste de l’album au point de ressortir comme singles évidents : Un (nice dream) n’a rien à envier à un High & Dry, un Bones, rien à envier à un The Bends ou un Just  Pour vous donner un autre exemple d’album parfait : Ziggy Stardust. Pour vous dire à quel point ce n’est pas commun : aucun album des Beatles n’est un album parfait1.

 

Je ne saurais dire précisément quand j’ai découvert cet album, mais je sais qu’à un moment (en première ou terminale, donc vers 2001-2002) on m’a gravé Pablo Honey (ça m’a changé de ma cassette) et The Bends. J’en connaissais déjà un extrait (outre le My Iron lung évoqué la dernière fois, même s’il me passait un peu au-dessus du crane au milieu de ce EP maison du marasme), en l’occurrence Fake Plastic Trees, dont j’avais entendu une version live sur un concert / Compilation pour le Tibet libre emprunté à la médiathèque (disque qui me fera aussi découvrir le Beetlebum de blur et Rancid et me rend donc la datation du concert difficile) (Je viens de chercher et c’est 1997, c’est le « Tibetan freedom concert ». Rétrospectivement le line up est dingue maintenant que je connais les noms dessus)

 

Bref, The Bends est vite devenu un classique ultime de ma vie en tant que … disque que j’arrive à ne pas écouter. Comprendre par là que c’est un disque que j’ai fait tourner un nombre incalculable de fois, en fond, pendant que je lisais sur mon lit en rentrant le soir, ne prêtant donc qu’une attention toute volatile au disque lui-même. Enfin, jusqu’au titre 8, parce que l’explosion de My Iron Lung m’a toujours sorti du truc. Et rarement au-delà du titre 10, parce que, hasards de la vie, c’était toujours entre les titres 9 et 10 qu’on m’appelait pour aller à table.




En conséquence c’est probablement un des disques dont je regrette le plus d’avoir fini par comprendre les paroles (et je serais bien en peine de vous dire aujourd’hui si je les ai lues ou si j’ai fini par les comprendre. Probablement un peu des deux, au final : lu celles des titres que j’ai voulu apprendre à la guitare – le solo de High & Dry est un des premiers trucs que j’ai réussi à faire sortir d’une gratte qui ressemblait à ce que je voulais faire- oui il se joue sur genre 3 notes mais on peut pas tous être fans de Nirvana) parce qu’au final il a perdu cette fonctionnalité et très peu de disques (voire aucun) depuis ont jamais réussi à la remplir (Marquee Moon. Peut-être.)

Et paradoxalement, c’est aujourd’hui devenu un disque que, quand je l’écoute… je l’écoute. Totalement. Si je le mets en fond pendant que je fais autre chose vous pouvez être sur que je vais pas le faire vite et surtout je vais m’interrompre un tas de fois. Et en l’écoutant, ce qui me fascine c’est que… ce disque ne devrait pas fonctionner. Pourtant (miracle du mixage et de la production ?) tous ces titres disparates, dont pas deux ne s’enchainent en se ressemblant, parviennent a former un tout, cohérent, et surtout splendide. Avec des hauts très hauts et des bas pas très bas (comme souvent avec Radiohead je serais bien en peine de dénigrer un titre, il y a vraiment une notion de « ok, c’est juste pas pour moi »). L’autre point me fascinant (qu’on va retrouver plus d’une fois dans cette série) c’est la capacité de Radiohead d’avoir 10 ans d’avance… pas musicalement mais thématiquement. J’ai failli faire une blague sur le fait que The Bends est l’album marxiste de Radiohead, mais dans les faits, c’est l’album d’un groupe qui prend conscience qu’il a réalisé un exploit (Creep) que certains groupes ne parviendront jamais à recréer et dont le label, sans aucune considération artistique, demande juste de le refaire.


Les gens croient que je mets des lunettes de soleil parce que je me prends pour une rockstar mais en fait c'est juste que je fais des migraines ophtalmiques

Réalisant qu’il n’est qu’une commodité comme une autre, juste plus difficile à produire à la chaîne, Thom Yorke décide d’en faire une ballade désespérée sur la surconsommation de « merdes en plastique made in china » (parmi lesquelles il voit son art inclus) comme distraction face à la vacuité de l’existence.2 Ce morceau est aussi une des plus belles démonstrations de la nouvelle arme que le groupe vient de réaliser qu’il a : 3 guitares. Enfin, surtout que quitte a avoir 3 guitaristes autant qu’ils jouent des trucs différents plutôt que de tous trois jouer le même truc histoire de sonner fort. Et sur ce morceau, le déploiement stratégique de l’acoustique, d’une électrique jouant des accords avec un peu de distorsion et d’un électrique claire pour le solo est tout simplement terrassante.

J’ai dit il y a deux articles que malgré tout, Creep est une bonne chanson, émouvante et tout, mais soyons honnêtes, si elle passe en soirée, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. Si Fake Plastic Trees passe, on est pas 2 accords dedans que je cherche déjà où aller me cacher pour chialer tout ce que j’ai, entendons nous bien. Et c’est même pas ma chanson préférée de l’album ! Pourtant, c’est une de ces chansons qui, quand je les entends, me plonge dans des abîmes de reconnaissance face au fait d’être né à un moment ou cette chanson existe (et de pas, genre, être mort en 1993 – je suis sur que j’aurais eu une vie intéressante hein, j’aurais connu les 30 glorieuses et tout, mais pas Fake Plastic Trees et du coup ça aurait été un peu moins bien quand même. Moi j’ai Fake Plastic Trees ET Dear Prudence (et plein d’autres mais c’est tout ce qui me vient dans cette catégorie) je suis bien, même si confronté aux abysses existentielles du réchauffement climatique et condamné à redéfinir mon propre rapport à la société de consommation, entre autres via l’écoute répétée de cette belle et douloureuse chanson.

(Mais sinon ça va)

De tous les premiers albums de Radiohead, qui ont cet effet « ouah la face A est ouf mais la face B c’est pas ça », il faut aussi avouer que The Bends est celui qui maintient l’illusion le plus longtemps. Ce n’est que la soudaine coupure de Bulletproof (I wish I was) après l’excitation de la fin de My Iron Lung (je vous ai parlé de My Iron Lung ?) qui, certes, offre une respiration bienvenue après deux titres qui décidément en envoient sévère, mais peut être une trop large respiration qui casse un peu les pattes (et dont pâtissent, à mon avis, les deux titres suivants, très « classiques » dans la forme, mais néanmoins très efficaces – Sulk en particulier, pourrait échanger sa place avec (nice dream) sans que la face A ne perde de sa splendeur.

 


Face au « toujours difficile second album » les groupes ont de nos jours plusieurs choix : continuer dans la veine du précédent, sortir les morceaux qu’on n’avait pas jugés assez bien pour le premier, ou se réinventer. J’ai longtemps préféré les 3emes albums (les fameux albums dits « de la maturité ») de mes groupes préférés, mais en vieillissant, je me suis souvent tourné plus précisément vers les premiers, mais surtout les seconds albums (a ma grande surprise, l’album des Smashing Pumpkins que j’écoute le plus régulièrement est Siamese Dream par exemple). Parce que ce qu’un groupe dit et fait dans son second album est généralement bien plus une déclaration d’intention que ce qu’était son premier ou sera son troisième. Avec The Bends, Radiohead devient un groupe auto conscient, instatisfait et volontairement contre productif, décidé à pousser la corde pour voire quand elle casse. En ce sens, ce n’est pas tant My Iron Lung (qui est au final un morceau post-grunge, mais anglais), ou The Bends (qui bien que rayonnant de « Oh mon Dieu j’ai tout ce que tout le monde voudrait mais franchement c’est pas fait pour moi » est au final « juste une très brillante pop song »), que Just qui illumine l’album de sa présence défiante. Un morceau comme celui-ci ne devrait probablement pas exister et surtout ne devrait pas être aussi bon.

Avec les années mon point focale sur ces albums a évolué et mon morceau préféré n’a cessé de migrer de la plage 4 à la 8 à la 12… Finalement la 7, juste après la moitié de l’album, est l’apex, le climax d’un album qui n’a fait que tendre vers cet apogée et ne fera qu’en redescendre derrière. Vrombissant, virevoltant (le jeu de guitare n’est pas sans rappeler au fan en moi le « Bodies » des Smashing Pumpkins, cette sorte de spirale / ZigZag de torrents de bruit) et décidant de ne jamais rester le même,  changeant le morceau dès qu’on pourrait s’y sentir à l’aise plus de deux secondes, c’est là que Radiohead montre son génie, sa volonté et surtout son crédo : on peu être tout à la fois pop et prog, on peut être intelligent sans être chiant, on peut divertir et faire réfléchir.

C’est quand on utilise Radiohead comme exemple (ou les Beatles) qu’on est le plus à même de me happer dans des explication relous de musicologie. Et ils auront beau engager le même producteur ou pomper Chopin à la source, c’est pas Muse qui saurait en dire autant.

 

Il est peut-être moins « important » que Nevermind ou même son propre successeur, il n’en reste que The Bends est le plus grand, le plus beau, le plus parfait des albums des années 1990 (Mais pas le meilleur).

 


Plus mauvais titre: Bulletproof (I wish I was) . Je vais pas me faire que des amis mais c'est mon opinion.

Meilleur titre pas sorti en single : Ils sont quasiment tous sortis en singles! Au final, je dirais Bones, probablement un peu sous estimé car trop similaire à The Bends

Meilleure face B de single de la période : Talk Show Host, no contest. J'adore Killer Cars également, je trouve que c'est un morceau qui mériterait mille fois plus d'exposition, mais Talk Show Host, est un tel chef d'oeuvre. Je reste convaincu que son absence de tout album est juste liée au fait de garder un "inédit" pour la B.O. de Roméo + Juliette.

Leçon de vie cachée dans les paroles: I wanna live / Breathe / I wanna be a part of the human race.  N'importe quel autre groupe chantant ça ce serait des pleurnichards. Ici c'est juste une requête légitime.

 

 

1 Et avant que les mauvaises langues ne se délient et parlent à tort de jardins de pieuvres, disons-le : c’est souvent la faute de George et du sous-continent indien.

2 D’où la présence évidente du morceau sur la B.O. du film Clueless (qui est un film plus malin qu’on le croit)

2 commentaires:

  1. Waouh, tu as été inspiré ! Je le serais moins sur mon commentaire, car je suis quasiment en tout point d'accord avec toi. Le fake plastic trees, le concert pour le tibet (indispensable !), le dernier paragraphe avec les titres + et- (oui, tous !), la face b vs face a...
    Seul bemol, sur les seconds albums (je vois ce que tu veux dire pour the bends, mais pour le reste moi je suis très 1er ou 3ème).
    Er puis tu parles pas assez de Street Spirit, qui est une des plys belles chansons de tout les temps.

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    1. Ben si on est d'accord la conversation va pas être très longue...
      Mais oui, Street spirit est une très belle chanson... Je ne serais pas aussi dithyrambique que toi mais c'est peut être juste que je trouve le titre trop.. similaire tout du long. Oui, il y a une belle envolée à la fin, mais pas de rupture ou un truc du genre: c'est une chanson dont je réalise qu'elle est déjà finie sans m'en rendre compte si j'ose dire.
      Mais bizarrement c'est un point spécifique que j'aborderai dans 5 articles...

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