mercredi 7 avril 2021

Démêler le plat de (Western) Spaghettis


 Ca y est ! Après 3 essais (trois !) j’ai enfin réussi à achever ma lecture du cinquième tome de La Tour Sombre, la fameuse « Jupiter de l’ imaginaire » du bon ami Stephen King. Je vous passe les détails, mais la première fois, c’était dans la foulée de ma lecture du quatrième tome (c’est une erreur à ne pas faire, je vous le dit), et la seconde, eh ben j’étais probablement déjà malade et de toutes façons incapable de lire quoi que ce soit. Mais la reprise n’était pas non plus terriblement difficile, le fait étant qu’au mieux j’avais à peine atteint la moitié de la première partie, soit donc pas très loin (même pas 100 pages sur les 650 que le tome compte). 

Et il va de soi que si je vous en cause aujourd’hui c’est que j’ai quelque chose à dire sur le sujet. Mais c’est surtout moi qui ait tendance à me gâcher la vie en ayant des lectures presque trop analytiques pour ne pas dire méta, et donc ce qui me reste d’un livre – que je considère comme le meilleur de la saga jusqu’à présent, et dont j’ai vraiment apprécié la lecture, sincèrement – est… un ensemble de réflexion autour du livre.


1. Suspension consentie de l’incrédulité


Alors que j’arrivais enfin à recommencer à lire, je me suis dit que j’allais pas non plus pousser et qu’il était peut-être temps d’arrêter un peu avec mon « snobisme  de bilingue » qui m’amenait à redouter de lire en français des livres écrits originellement en anglais. Par manque de confiance, par crainte d’une mauvaise traduction (ça existe), parce que j’étais capable de le faire, tout simplement. Dans les faits, c’est une bonne chose, en pratique, le faire avec Stephen King, dont les traductions ont tendance à être notoirement mauvaises (mais surtout les premières, bordel, je devrais pas courir ce risque avec un bouquin post-2000 !) restait une gageüre.

Et… Bon il y a certes une seule faute de traduction flagrante (« les 8 doigts qu’il restait à sa main »), mais… la question que j’ai surtout envie de poser c’est « il viendrait à l’esprit de personne d’embaucher pour la traduction quelqu’un qui s’y connaitrait au moins un peu en musique rock ? » Parce que ça aurait une certaine logique vis-à-vis des obsessions de l’auteur. Et aussi ça m’éviterait probablement de rager quand, en deux pages consécutives, je me retrouve face à deux formulations qui me sortent tellement de l’action que je me sens obligé de reconstituer la version originale dans ma tête pour trouver comment ça a pu être traduit comme ça.

Le premier (même si le second chronologiquement) c’est de découvrir que « In the Summertime » a été chanté par « Jerry Mungo ». Bon, OK, il n’y a qu’un pinailleur comme moi qui va y faire attention, sauf que… 15 lignes plus tôt, on le trouve formulé correctement, et c’est bien, dans un premier temps, Mungo Jerry qui est crédité.

Mais celui qui m’a fait bondir, et donc mis en bonne condition pour tiquer quand Jerry Mungo a pointé son nez, c’est bien…

« Tout le monde a l’air souriant parce que la lumière est tellement éclatante et l’air si doux, c’est l’été dans la ville et on entend quelque part le bruit d’un marteau piqueur, comme dans cette vieille chanson « Lovin’ Spoonful » »

Ce sont aussi les guillemets qui m’ont fait comprendre que ce n’était pas un oubli d’un « des », mais bel et bien une totale traduction ratée de « the old Lovin’ Spoonful song ». On est en train de te décrire la scène d’ouverture de Die Hard with a vengeance / Une journée en enfer et… et clairement on te dit très probablement, en V.O., que c’est « Summer in the City » ! C’est Stephen King ! Bien sur qu’il va y avoir des références musicales dans les coins !


Tout ça pour dire qu’une traduction qu’on voit (a fortiori si on y trouve une erreur comme celle-ci), c’est comme un doublage mal synchronisé ou mal adapté (1), ça casse la magie. Et moi de réaliser que quand on décide de lire une traduction, on doit accepter de suspendre encore un brin de plus son incrédulité, pour accepter tout à la fois la fiction, et la traduction rendue. Et ça peut aller de « ça passe tout seul » (la grande majorité  du livre), à « ça frotte mais ça passe » (Par exemple, dans celui-ci, la formulation « Pas question Gaston », dont je devine qu’elle est une traduction d’un « No way José »(2) ), à des points d’achoppement comme celui évoqué plus haut. 

Bon ben soyons honnêtes, c’est toujours une bonne réalisation, c’est juste dommage que je le réalise parce que je suis un horrible pinailleur.




1 De ce côté, j’ai un souvenir très marqué de la première fois que je me suis fait cette réflexion, ou du moins une similaire : dans la version française de l’épisode de Friends ou ils jouent à un jeu de quizz les uns sur les autres (qui mène à l’échange des appartements de la saison 4), la version française colle une référence à Claude François, qui, déjà à l’époque (j’avais quoi, 13 ans peut-être ?) me paraissait…. Pas à sa place dans la bouche de jeunes new-yorkais. (Je venais de découvrir ce qu’étais un mauvais travail d’adaptation / régionalisation)

2 Saviez-vous que c’est la catchphrase de Jacquouille la fripouille dans la V.O. des Visiteurs en Amérique ? Toujours heureux de partager du savoir inutile, ne me remerciez pas.



2. Spécificité du medium


Alors si la traduction m’a fait tiquer une parie de fois pendant 5 minutes, il y a un autre point qui m’a fait tiquer beaucoup plus longtemps…. Presque 300 pages. Stephen King a quelques tics d’écritures auxquels on a fini par s’habituer, comme par exemple sa manie d’annoncer les morts de personnages secondaires (« Il acheva son café. Il ne savait pas que ce serait le dernier de sa vie. » C’est pas une citation, hein, mais vous voyez l’idée), ou (et celui-là on l’a dans le bouquin), avoir des protagonistes qui préparent des plans dont le contenu est gardé secret du lecteur.

Donc dans Les Loups de la Calla, on a droit au plan qui est mis en place, mais qu’on ne découvre que quand il est exécuté. Personnellement ça me frustre, mais on en comprend la logique : perdre le lecteur autant que nos Pistoleros décident de perdre les locaux en leur annonçant un faux plan, parce que parmi eux il y a un traitre et tout ça… Et c’est normal, et c’est classique, et c’est très codifié, pour une raison simple qui est que le roman appartient à un genre lui-même extrêmement codifié : le Western. C’est une légère spécificité de ce roman au sein du cycle (parce que si je devais décrire la Tour Sombre aujourd’hui en temps que cycle, la meilleure description que je pourrais en faire est : « c’est Zelda Breath of the Wild avec des guns »). Mais, et c'est clairement rappelé par la dédicace de l’auteur en fin de roman : le Western, est, par essence, un genre cinématographique, bien plus que littéraire (les remerciements et hommages de l’auteurs se font uniquement à des réalisateurs, pas même un auteur de Pulp que King aurait feuilleté dans sa jeunesse ou un truc du genre).

La conséquence de cette spécificité est cristallisée dans le moment le plus frustrant du bouquin. Une scène qui passerait crème au cinéma, mais qui sur la page est presque malhonnête. Des pages de conversation, et la phrase la plus primordiale passée sous silence. Phrase qui ne sera révélée que quelques 300 pages plus tard. Et on imagine aisément la mise en scène sur la pellicule : une phrase, chuchotée à l’oreille, dont le contenu n’est révélé que plus tard, une phrase qui change la donne… Cinématographiquement, ça s’imagine sans aucun souci. Mais sur la page, il n'y a aucune raison logique que... mon narrateur omniscient ne le soit soudainement plus. A part pour me troller. 

Et au cinéma ça demande un effort de patience minime, on sait qu’au pire dans une paire d’heures, on aura notre révélation. Mais ici c’est 300 pages. Pour qu’au final, quand la révélation est… révélée, on l’a déjà devinée, largement (parce que le peu qu’on sait du plan nous l’a fait comprendre), et son effet est minime (peut-être est-ce voulu, mais c’est frustrant. Extrêmement).

D’un problème de traduction de langage à un problème de traduction artistique il n’y a qu’un pas. C’est juste que c’est extrêmement ironique que pour une fois ce soit dans ce sens-là, de la part d’une œuvre si souvent qualifiée d’inadaptable au cinéma (1)


1 Ce qui est vrai : c’est en série qu’il faut l’adapter, avec un pilote en mode téléfilm qui reprend l’intégralité du tome 1.


A priori ça a déjà été adapté en série en fait


3. Structure du cycle (Attention je vais spoiler assez salement)


Il faut rendre à ce livre ce qui lui est dû : quand je l’ai refermé, il m’a fallu toute l’énergie du monde et la sagesse accumulée par des échecs similaires dans les temps passés (1) pour ne pas me jeter sur le tome suivant. Et avec joie. Parce qu’en cette fin de tome, on est ni vraiment à un point d’arrêt, ni au milieu du cliffhanger le plus forcé du monde (celui entre les tomes 3 et 4 – des fois je me demande si King avait pas arrêté le bouquin le temps de trouver comment sortir ses personnages de là où il les avait embarqués). Mais l’action paraît « enfin » lancée (illusion qu’on a bizarrement à la fin de chaque tome depuis le deux)


Mais mon gars Stephen si tu ne voulais pas que je me prenne la tête avec des considérations structurelles fallait pas coller une référence à Harry Potter, soit donc le cycle le plus précis, symétrique, cohérent qui soit passé entre mes mains. Parce qu’au sortir du bouquin, la structure du cycle m’apparait encore un peu plus opaque qu’à la sortie du précédent. Pourtant Dieu sait que ce cinquième livre est le plus clair, le plus carré depuis le début, reprenant avec succès des idées et concepts présentés et développés dans les précédents sans en introduire de nouveau (enfin, si, mais plutôt des variations de trucs préétablis disons). 

Mais du coup, on a un peu l’impression que les tomes précédents n’étaient qu’une grande introduction. Les enjeux, le pourquoi de la quête ne sont toujours pas très clair à mes yeux (Si la raison de la quête de Roland c’est uniquement sa vision racontée dans le tome 4, désolé mais moi ça me parait un peu léger), les mystères sont moins nombreux (certains sont résolus de façon terriblement décevante dans ce tome), et… à part introduire Rhéa et les boules du Magicien, c’était vraiment la peine de nous faire 600 pages de flashback dans le tome 4 ?  Surtout pour nous expliquer vite fait que les anciens compagnons de Roland y sont passés tout connement au combat, dans une bataille dont la raison d’être finit par être le mystère remplaçant la manière de leur décès ? Franchement si on tombe par sur Susan en random dans la Tour… Je continuerai à me poser cette question pour longtemps. Oui la longueur du tome 4 reste un point de frustration intense dans ma lecture de La Tour Sombre.

Bref. En cette fin de tome 5, et outre le rebondissement final, on a une équipe en quasi ordre de marche, les portes du méta sont grandes ouvertes, il y a des stratégies à mener dans tous les mondes, on a croisé le second du grand méchant, on est rentré dans le monde "de l'intérieur" … tout cela est très bien, mais on devrait pas plutôt en être là depuis un tome au moins ?

Ou alors (et c’est plutôt logique par rapport à la façon dont l’ensemble du cycle a été, si je le comprends bien, conçu), il faut plutôt considérer le tom 1 à part, et prendre le cycle comme un cycle de six, et même peut être rediviser celui-ci en deux sous-cycles de 3 tomes.

Bref, peut-être à la fin trouverai-je enfin la structure de la Tour, si jamais il y en a une.


Quoiqu’il en soit… Le chant de Susannah m’attend, et je suis hypé à mort. A bientôt, ka-têt du Dix Neuf.


1 J’ai déjà évoqué mes premières tentatives infructueuses de lecture de ce tome 5, mais le fait est que déjà, j’avais essaye de lire le tome 4 dans la foulée du tome 3, est si j’avais été plus loin (genre 200 pages), j’avais également lâché l’affaire.


4 commentaires:

  1. Je te trouve dur avec la traductrice. D'une manière générale, je trouve que les gens sont souvent très durs avec les traducteurs de King qui ne sont pas William Desmond. D'abord parce que King, c'est franchement pas la panacée à traduire (encore moins la Tour sombre). Et puis il faut quand même rappeler dans quel contexte sont sorti les trois derniers tomes de la série, c'est-à-dire d'un bloc ou quasiment, dans une situation d'urgence éditoriale absolue... je doute que Marie de Prémonville ait bossé en toute sérénité sur ces trois livres (on parle quand même de pas loin de 2500 pages traduites en un an et demi à tout casser...) Ce que tu relèves sont pour moi autant des erreurs éditoriales que des erreurs de traduction, des trucs qui n'auraient jamais dû passer et qui sont passés parce que J'ai lu était très très très très pressé de sortir ces livres. Le packaging, la qualité du papier, plus ou moins tout est à l'avenant, d'ailleurs.

    Concernant le roman en lui-même, j'en ai bizarrement peu de souvenirs, si ce n'est que je l'avais adoré, lu d'une traite ou presque, et qu'il y a tout de même ce tour de force où King se lance dans un auto-remake de Salem sans jamais donner l'impression de se répéter. La structure générale du récit doit à mon avis plus être envisagée comme plusieurs mouvements (tome 1 / 2-3 / 4 / 5-6-7) ; King ne cherche pas la cohérence (ou plutôt il l'a trouvée en cours de route, raison pour laquelle il a ré-écrit les 4 premiers tomes une fois qu'il a eu terminé le reste), il a, je crois, une approche beaucoup plus "poétique", peut-être même musicale. La Tour sombre est une démonstration permanente que tout n'a pas à avoir une fonction précise dans un récit. Que ça peut être là juste pour faire joli, pour faire cool, ou parce que l'auteur avait envie que ce soit là et après tout, pourquoi pas ? Il y a beaucoup de "après tout, pourquoi pas ?" dans la Tour, de plus en plus au fil des tomes, et j'ai toujours trouvé cela très plaisant. Comme un défi lancé aux gens qui ont ce rapport un peu bizarre et utilitaire à la fiction et qui finissent immanquablement à dire "gnagna, tout ça pour ça ?" - Bah quoi, tu t'es emmerdé pendant cette histoire ? Non ? Bon bah, ta gueule.

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    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    2. Tu as raison, mon blâme se concentre sur la traductrice alors que c'est une erreur collective vu qu'il doit y avoir des relecteurs etc. qui auraient du la voir. Et tu parles de devoir traduire 3 livres mais je suspecte que la remise en cohérence des traductions des 1 à 4 a du se faire au même moment. Donc ouais c'est une somme.

      A savoir que jusqu'à il y a quelques semainesje n'avais pas le tome 7, et à mon grand désespoir J'ai Lu a fait une réédition de toute la série (probablement à l'occasion de la sortie du film) avec une charte graphique différente... Du coup j'ai cherché le tome 7 sur le bon coin, et sans échelle... Ben j'ai découvert que J'ai Lu a fait du grand format pour cette série. Ca casse quand même un pau l'harmonie de la bibliothèque hein.

      Je me plains pas trop de la qualité du papier dans leurs livres (de poche) (reproche que j'ai plus tendance à faire à Pocket) mais si cette édition a un défaut c'est les bords du dos trop acérés qui s'écorchent trop facilement.


      N'ayant pas lu Salem, j'ai eu un peu père quand le curé a débarqué, mais au final, ça passe très bien et c'est assez surprenant (en plus il est très sympathique comme personnage). Et je suis d'accord, jamais (à part peut-être dans ce maudit tome 4) je ne me suis ennuyé dans la Tour Sombre. J'ai été paumé, ce qui peut être frustrant, mais inhérent à un truc aussi riche et mystérieux: des fois tu sais pas si c'est nouveau ou rapport à un truc précédent que tu as oublié.

      Je pense aussi que ce qui rend ce tome si agréable c'est que c'est la première fois que le ka-têt passe dans un endroit vivant, a des interactions humaines. Et même s'il y a un danger, on sent que c'est une respiration agréable avant de se lancer dans le vide.

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    3. Quand je parlais du packaging, en fait, je pensais aux éditions grands format justement. Je n'avais pas pensé que la couv que tu avais mise était possiblement aussi celle du poche. Pour l'anecdote, ça ne doit pas être loin d'être les seuls grands formats jamais publiés par J'ai lu. C'est dire s'ils misaient gros. En revanche je ne sais pas si la pauvre traductrice a dû se farcir les nouvelles versions des tomes 1 à 4 (je ne sais même pas si ces versions ont toutes été traduites) (je ne lui souhaite pas parce que le tome 1 v2 est d'un pénible consommé à lire en VO)... mais cela paraît logique qu'ils aient au minimum tout réédité vu le temps écoulé entre chaque tome.

      Les interactions humaines c'est un compliment à double tranchant. Je suis à peu près sûr qu'on a tous pensé la même chose à l'époque, mais la vérité est aussi qu'à partir de là il commence à y avoir 250 000 personnages, ce qui contribue à casser complètement la dynamique de la première moitié de la série. Enfin, tu verras, mais même sans le savoir c'est assez évident que les tomes 5, 6 et 7 ont été écrits quasiment d'une traite et sans respirer. Raison pour laquelle, quels que soient les reproches qu'on peut faire au tome 6 (qui est clairement le plus faible de la série), il vaut mieux le lire assez vite après le 5.

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