vendredi 24 juillet 2020

C'est pas parce que c'est nouveau que c'est un progrès, c'est pas parce que c'est néo que c'est de la merde


Le lien qu’on entretient à la musique de notre adolescence est toujours un peu bizarre, mais forcément formateur. Et pour le coup, par musique de notre adolescence, je ne parle pas forcément de la musique qu’on écoute à ce moment-là, mais de celle qui est publiée à ce moment – celle qu’on aime comme celle qu’on hait.
Mais permettez-moi de repasser au singulier et d’ainsi cesser la mascarade de la généralisation : l’adolescence dont on va causer c’est la mienne (surprenant). J’ai eu 15 ans en l’an 2000. Et quel était le courant musical dominant le Rock au tournant du millénaire ?
Eh oui mes amis : on va causer néo-métal aujourd’hui.



On peut grosso modo-considérer que 1999 à 2001 constitue l’apogée du mouvement néo-métal : KoRn (bordel a va me saouler de l’écrire comme ça tout un article) a sorti 4 albums en 5 ans qui sont tous des succès, Deftones et Limp Bizkit sont entre leurs 2eme et 3eme albums, System of a Down et Slipknot entre leurs premiers et seconds, et Linkin Park va débarquer en 2001…
De fait, pendant ces années-là, mes potes amateurs de métal, c’est ce qu’ils écoutaient (résultat je connais des noms de groupe genre Kittie ou Snot). C’était ça, le métal pour moi. Que Metallica, ma grande sœur écoutait, alors la « violence » de truc je ne la voyais pas vraiment. (C’est un peu de la même manière que la première fois que j’ai écouté Iron Maiden j’ai extrêmement été perturbé par le fait que leur imagerie me semblait beaucoup plus bourrine que leur musique.
Et on peut s’amuser à minimiser l’importance de ce mouvement mais le fait est qu’à l’époque c’est probablement le mouvement rock le plus mainstream (exception faite de Radiohead et ses clones émergeants : Muse, Coldplay, Travis, U2…) sinon pourquoi serait-ce celui dont j’ai entendu parler ? En 2001, les extraits de Toxicity trustent le classement des auditeurs tous les soirs sur Ouï FM, Limp Bizkit fournit le titre phare d’un blockbuster avec Tom Cruise, les clips de tous tournent en boucle sur MTV et trustent les classements pour lesquels le public vote.


Viens, je t'emmène, derrière le miroir, de l'autre côté...


Pourtant dans la grande histoire du Rock il est sûr que le mouvement ne sera probablement pas listé. Même pas comme une erreur qu’un revival garage serait venu résoudre (à l’image de la légende voulant que les Punks aient sauvé le monde du Prog) (Et puis on va pas causer Punk à Roulettes à la place non plus). Non, le tournant du siècle se sera fait en silence, entre une Britpop tuée en 1997/98 et un revival Garage de 2001/02 salutaire.

Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses (oui, la honte des gens d’avoir trouvé ce genre crédible pour un instant, non, la honte seule n’explique pas tout). Déjà, c’est difficile à expliquer : le « mouvement » est fait de groupes qui n’ont pas grand-chose à voir musicalement. Que KoRn et Limp Bizkit fassent partie du même mouvement déroute. Et ce sont les têtes d’affiche du genre : c’est pire encore si on va creuser dans les coins, genre (hed)pe, les débuts de Kid Rock (eh oui) ou pire encore, les groupes français du mouvement.
A l’opposé, pourtant définir la sortie du premier album de KoRn comme l’acte de naissance du mouvement tout entier ne soulèvera aucun débat. Son acte de décès? Discutable, mais on y vient.
Et la difficulté de définition de ce qu’est le néo-métal vient aussi de ses influences principales, une longue lignée de mouvement mal nommés regroupant des groupes n’ayant rien à voir entre eux, dont l’apogée est évidement l ‘utilisation du terme « Fusion » au début des années 90. Fusion oui, mais jamais de la même chose, terme chapeau permettant de mettre dans le même sac Rage Against the Machine (dont le bassiste s’est excusé pour avoir inspiré Limp Bizkit en 2015), Faith No More ou même les Red Hot Chili Peppers.



On résume souvent le néo-métal à une fusion Rap / Métal. Mais l’ensemble du mouvement couvre un spectre complexe, lié à :
  •          Où on met le curseur en termes de rap. Je cause de quantité, hein : Est-ce qu’on rape les couplets entiers, ou tout le titre, ou en fait c’est plus de Sprechtgesangt sans vraiment être du rap, est-ce qu’on empreinte d’autres éléments à la culture hip-hop (scratches, boucles…)
  •           Quel type de métal on joue ? On fait juste du lourd et grave (KoRn), on part sur du sautillant foufou (Snot, sorte de Primus néo-métal), Du Agressif mais pas trop heavy (Lip Bizkit), on se prend pour My Bloody Valentine mais avec de la disto (Deftones) ou juste en fait on va pas vraiment faire du métal ce qui fait qu’en fait techniquement on fait du rap mais comme il est pas très bon et puis on est blancs donc on va dire c’est du néo-métal (Butterfly par Crazy Town) ?

(Ces points méritent une étude plus approfondie que, cela va de soi, je ne ménerai pas, par flemme et manque de connaissances). Alors forcément, en visant suffisamment large comme ça, on est sur que chacun va s’y retrouver d’une façon ou d’une autre et tomber sur au moins un groupe dans le mouvement entier que tu vas aimer (Si tu aimes Jésus, il y a P.O.D., si tu aimes Satan, Slipknot aime les chèvres et les pentacles).
Sérieux, au pire du pire on a bien une reprise que tu vas kiffer.

Et du coup pourquoi ça a marché ? Il y a une vision un brin cynique que je peux comprendre sans la partager à 100 % qui constituerai à dire qu’en mélangeant les deux musiques qui inquiètent le plus les parents tu peux marketer la rébellion ultime. Sauf que la rébellion ultime qui terrifie les parents, entre 1994 et 1999 disons, elle est clairement trustée, symboliquement, par le seul Marilyn Manson.
Non, le point commun de tous ces groupes, et qui fait qu’il leur a permis de causer aux jeunes blancs de la classe moyenne de la fin des années 90 (moi compris, évidement) c’est la colère. Vaine. Mais la colère quand même. Le mouvement néo-métal est un mouvement entier de groupes qui sont tous en colère, mais ne sont d’accord ni sur pourquoi ni sur contre qui

Ma théorie là c’est : vous les connaissez les cons qui, à l’élection de Trump par exemple, ont eu comme réaction « Ah bah c’est bien triste mais tu sais quoi ? Ca va faire qu’on va avoir du bon Art du coup. Je suis sur le Punk va renaître dans toute sa splendeur parce que là ça suffit, ou là là. »1

Il s’avère que l’Amérique de la fin des années 90 c’est quasiment l’opposé total. (Pour les blancs de la classe moyenne il va de soi). La seule guerre que mène le pays est totalement justifiée, l’économie va bien (pour l’instant), le plus gros problème du moment c’est de discuter d’où Clinton a mis son saxophone. La France c’est pareil. On nous a annulé le service militaire, on nous crée les RTT, on est champions du monde, grosso modo ça va.
Mais vous savez quoi ? être un adolescent c’est chiant. C’est nul. Quelle que soit l'époque, quel que soit le lieu. C'est comme ça. Et c'est rageant. Mais au moins si la société partait en couille on pourrait aller manifester, donner un sens à notre colère. (Ça va arriver, attendez une paire d’années, hein). Mais pour l’instant, non, vraiment, it is ALL about the he says / she says bullshit.

Ce qui faisait vivre le mouvement, c’est son absence pas forcément de sens mais de raison d'être, sa pureté dans la caractérisation de l’Angst de l’ado moyen, son expression de la colère sans but (les soudaines éruptions de disto, les passages du chant au cri guttural…) Donc forcément, dès que la jeunesse trouve un sens à sa vie, tout négatif qu’il soit, il était logique que le mouvement se délite.



(Bon il y a aussi l’Hybris de laisser Limp Bizkit écrire la musique de mission impossible 2 – excusez-moi, c’est vrai : « M:I-2 » - la boys-bandisation ressentie par les fans lors de l’arrivée de Linkin Park qui plait à leur sœur voir à leur mère, la corrosion du mouvement par des groupe virant plus vers le post-grunge (Staind, Nickelback etc…) et qui dévoreront la fan base sans jamais recevoir de validation critique2)

Mais pourtant, aucune musique ne se prête mieux, encore aujourd’hui, à la colère vaine. La majorité des chansons dont je vais vous causer, j’ai continué à les écouter au cours des 20 dernières années, souvent parce que j’avais envie de me marrer. Mais la vie n’est pas toujours facile et c’est pas parce qu’on est plus un ado qu’on se retrouve pas parfois (voire souvent) empli d’une colère qui n’a aucun exutoire désigné. Juste une masse d’énergie extraordinaire distillée à coup de « Nique ta mère l’univers » et de « Va te faire foutre 2020 ». Et franchement ? L’arrogance de Limp Bizkit, l’auto-détestation de KoRn, la puissance bruitiste de Slipknot ou la pure beauté de ce que Deftones était foutu de faire, tout cela refait sens.

Donc suivez moi, pour quelques instants, alors que j'essaie de vous convaincre que tout n'est pas à jeter, loin de là.


Allez, d'ici, pour vous faire patienter, et parce que le fait que ce morceau n'est pas utilisé dans toutes les bande-annonces du monde étant la principale raison pour laquelle j'aurais tendance à sélectionner "Blind" de KoRn, autant vous offrir cette pépite. Les vrais sauront / comprendront / reconnaîtront.

1(Si vous les croisez rappelez leur que les seuls qui ont rempli ce critère dans des conditions d’inspiration de type Bush + Guerre en Irak, c’est Green Day)
2 Votre serviteur aime bien « How you remind me ». Voilà c’est dit.