dimanche 20 août 2017

... And you will know us by the trail of dead - de l'art d'en faire trop

Je suis un imposteur.

Quand j’ai commencé mes études supérieures, vers 2004, je revendiquais cet album comme un de mes préférés. Pour la simple raison que, comme personne ne le connaissais, je me sentais utile, à faire découvrir un album aussi bon, et puis ça me permettais de me la péter un peu, de faire montre d’une certaine originalité que d’autres disques ne me permettaient pas d’avoir.
Il faut voir aussi que l’été précédent, je l’avais pas mal fait tourner et qu’il m’accompagnait presque tout le temps, en fond.

Mais j’étais un imposteur, disais-je.

Parce que cet album n’était pas à moi. Quand j’étais en prépa, j’avais 3 amis proches, au sein de mon lycée. L’un d’entre eux fut mon premier ami musicien et érudit (comprendre par là, un peu snob). Alors que nos chemins allaient se séparer par le biais des concours, un après-midi, alors que les cours s’étaient achevés plus tôt, il me proposa de passer chez lui pour me passer de la musique. Le souvenir se fait flou, donc je ne sais plus s’il m’a gravé un CD de mp3 à l’arrache (je crois que c’est ça, parce que les clés USB étaient encore une denrée rare à l’époque – si c’est le cas ce CD est perdu depuis longtemps), mais dessus, il y avait ce que lui, mon ami contempteur des Beatles entre autres, pensait être « des vrais trucs intéressants ». Oh, vous vous en doutez déjà probablement, c’est comme ça que j’ai découvert  Sonic Youth (Il y avait dessus, pour sûr, Washing Machine et Sonic Nurse qui venait de sortir). Il y avait aussi Spiderland de Slint. Cependant, pour une raison que j’ignore encore, il me passa ce CD (« je te passe le CD, parce que je l’ai pas ripé donc je l’ai pas en mp3 »), à la pochette avant très raffinée et à la pochette arrière affreuse ( offrant au regard un Rimbaud multicolore pas du meilleur goût). Peut-être parce qu’il savait que j’aimais les Smashing Pumpkins 1? Toujours est – il qu’il lança le début de Another morning Stoner, qu’en une minute j’étais conquis (le titre s’ouvrant sur ce qui est encore à l’heure actuelle une de mes intros préférées de tous les temps), m’expliqua à quel point ce groupe était génial (« tu te rends compte, en live ils changent de place entre les morceaux, un coup à la batterie, un coup au chant ! ») et que je repartis de chez lui le disque dans ma sacoche.

Outre Rimbaud en pochette arrière, il y a un titre qui s’appelle Baudelaire (qui est vachement enjoué pour ce titre, franchement), et donc ça avait de quoi parler à l’ado on-dit-pas-émo-on-dit-romantique que j’étais. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi cet album me touchait autant. J’ai toujours eu du mal à mettre des sentiments là-dessus, alors des mots n’en parlons pas, mais ce disque m’a toujours parlé, alors même que je ne dois toujours pas en avoir compris le tiers des paroles. Ce disque, quand j’ai commencé mes études supérieures, que je quittais mes parents pour la première fois, et que j’étais désespéré de ne pas être seul au point d’en être chiant, je l’ai fait écouter à tellement de personnes. Et si peu l’ont compris. Aucun ne l’a adopté.
Amusant comme un disque devenait « rien qu’à moi » sans jamais avoir été « à moi » de base.

Sur ce disque, il y a une face A merveilleuse, avec Another morning stoner, bien sûr, mais aussi le très beau How near, how far tout à la fois plein de lassitude et d’espoir, la pétarade It was there that I saw you en ouverture2 , la tentative bizarre de hardcore mélodique (ça existe, ça ?) de Hommage

Pourtant, en le réécoutant maintenant, je réalise quelques trucs au sujet de ce disque :

  • OK, peut-être que je vois pourquoi la comparaison aux Smashing Pumpkins. Entre autres, cette batterie qui est incapable de garder un rythme, non, tout n’est que succession de roulement en tous sens un coup rafale de mitraillette, l’autre cavalcade effrénée, on distingue à grand peine la grosse caisse, et le rythme de base se voit souvent remplacé par un  titanesque mur de cymbales qui résonnent sans cesse, pas un instant de répit, d’ailleurs…
  • Cet  album ne ferme jamais sa gueule. Le moindre interstice entre les titres est rempli. On a pas fini le larsen de la chanson d’avant que l’intro de la suivante démarre, et si il y a plus de 30 secondes de répit, vas-y qu’on te colle un interlude.  Qui souvent reprend différemment (un coup au piano, un coup au violon) un passage d’une chanson à l’autre bout de l’album. C’est stupide, mais ça permet vraiment de faire de l’album un tout cohérent.
  • Quand on est pas dans un moment de calme tel qu’un interlude, tout pète dans tous les sens, tout le temps…. Sans une once de déformation. Pas de disto, une grosse caisse discrète au final. C’est impressionnant comme cet album sonne gros sans sonner lourd (comprenez heavy), jamais. Imposant, prenant tout l’espace qui peut lui être offert, mais bizarrement rapide et mobile, léger presque, comme si chacun des titres n’était qu’une ballade folk engloutie sous des déluges d’électricité. Chaque chanson, malgré sa stature, s’offrant un moment de légèreté, de ralentissement occasionnel, et souvent une petite envolée finale, laissant place à la joie après le désarroi ou la colère (selon le morceau) de chaque explosion de son.
  • Et aussi : Je me rappelle vachement mieux que je ne le croyais de la face B, qui recèle sont lot de bonnes chansons (Days of being wild, Relative Ways (qui était sorti en single à l’époque), Sources, Tags and Codes), et, même si elle contient le titre que j’apprécie le moins de l’album (Monsoon), son écoute reste agréable… Est-ce juste à cause de l’interlude que je stoppais quasi systématiquement mes écoutes après How near how far, ou juste que c’est ce titre précis qui me met dans l’état que je recherche lorsque j’écoute cet album ?



Oui, l’état dans lequel je veux être quand j’écoute cet album. Cette sorte d’espoir diffus, de tristesse teinté et d’autosuffisance mêlé. Ce disque m’a accompagné dans certains moments difficiles, et c’est peut-être pourquoi je n’en parle qu’aujourd’hui alors que c’est un des albums que j’aime le plus faire découvrir, même si à l’époque  j’avais plus cherché à l’imposer à mes connaissances qu’autre chose. Le partage de la musique, c’est comme le partage de tout : il faut que cela se fasse dans le respect et la modestie, à la bonne franquette quoi. On ne peut pas plus forcer les gens à apprécier la musique qu’on leur fait découvrir qu’on ne peut les forcer à nous apprécier, nous. Et quand, 3 mois après ce changement de vie, je me suis retrouvé paradoxalement plus seul que je ne l’ai jamais été, aliénant les gens du fait de ma crainte d’être isolé, Sources, Tags and Codes était là, bouée de sauvetage autant que malédiction. Ce disque que je connaissais et appréciais, moi, moi qui savait, moi qui comprenait ce qu’eux ne comprenaient pas, eux qui ne l’appréciaient pas, qui ne m’appréciaient pas. Une sorte de précieux qui était le symbole de ma supposée supériorité, sans pour autant que je ne parvienne à me réjouir d’être, tout simplement, moi3. En moins de temps que je ne pouvais le comprendre, ce disque n’était plus à moi, ce disque était – symboliquement – moi.  Difficile d’accès mais voulant pourtant plaire au plus grand nombre, qui essaye d’en faire trop, lourd, tout simplement, qui ne demande qu’à être apprécié, mais qui ne peut être apprécié que si on est déjà un peu barré à la base, trop bizarre et tordu sinon.


En fait, franchement... T'enlèves les corbeaux, les gars c'est The Hives.

Reste un album de belle stature qui m’aura soutenu dans un des moments les plus difficiles, ce qui fait qu’écrire dessus est si tétanisant. Réaliser qu’on a pu être un petit con, et pas qu’une fois, est probablement une des bénédictions de l’âge adulte, tout douloureux puisse être le regret de ne plus pouvoir saisir l’occasion de s’excuser, les gens concernés étant loin depuis longtemps.

Spent half a life deciding what went wrong… Effectivement, Il m’aura fallu quelques années pour réaliser tout cela et le mettre par écrit.


Au même titre qu’il m’en faudra pour réaliser que… On ne fait pas découvrir de la musique aux gens parce qu’on veut pouvoir se la péter, parce qu’on sait, parce qu’on est celui par qui la bonne nouvelle est arrivée. Non, on fait découvrir parce qu’on veut partager. Et la meilleure récompense en contrepartie est peut-être de découvrir ce que les autres veulent partager. Et vous savez quoi ? Discuter avec vous, partager avec vous, m’a manqué. Et c’est pas la faute aux disques (quoique), aux réseaux sociaux bouffant les blogs (quoique), c’est juste que… J’ai cru que j’avais quelque chose à dire, et qu’il ne servait à rien de parler pour ne rien dire. Or la vérité… c’est que j’ai surtout envie et besoin d’avoir quelque chose à entendre.
I don’t know what in this world is trying to save me / But I can feel its hand and it’s guiding me inside / From the life I tried to live / to the one that I received.




Aussi, je crois avoir perdu ce CD dans un de mes déménagements. Mais je l’ai trouvé en vinyle pour pas trop cher, depuis. Rimbaud n’a plus les honneurs de l’arrière de la pochette. C’est un vieux qui rit maintenant. Tout fout le camp… Sauf moi on dirait. Merci à ceux qui sont là, bonne route à ceux qui sont partis… Mais du coup me revoilà.


1 Trail of Dead est souvent comparé aux Pumpkins, pour des raisons qui m’ont presque toujours échappé. Je suspecte que c’est parce que s’il leur ressemble vraiment ça doit être à ceux de Machina, période du groupe qui a le moins mes faveurs.
2 It was there that I saw you dont je ne réalise qu’à l’instant (alors que j’en tapais le titre) que c’est peut-être une référence aux Beatles.
3 Il y a une sorte d’ironie totale et assez belle à ce que mes études se soient achevées avec ma découverte (tardive, oui) des Smiths et de I know it’s over, qui justement m’apprendra le message inverse à cette crise d’égo : « If you’re so clever… Then why are you on your own tonight ? ».

4 commentaires:

  1. Un Come Back fracassant ! Welcome Home l'ami !
    (sinon j'ai jamais entendu parler de ce truc...)

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    1. :)
      Bah que veux tu, c'est un album de connaisseur qui se la pète ;-)

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  2. Guic je t'aime
    (je t'aime tellement que je vais télécharger ce disque et l'écouter malgré la comparaison avec les Smashing Pumpkins)

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    1. Merci mon grand. Tu vas detester ce disque, je le sais déjà. :-D

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