mardi 19 juillet 2022

BioRadioSpective - Episode 9 et final

 A moon shaped pool (Mai 2016)

L’écoute de cet album, dans le cadre de cette rétrospective m’offre une surprenante symétrie : on finit comme on a commencé, avec moi qui découvre un album de Radiohead quelques 6 ans après sa publication.

Mon ressenti de cet album (écouté avec une certaine (ir)régularité tout au long de l’écriture de cette série, sachant qu’il en serait le point de fuite), a traversé des phases qui n’ont pas été sans me rappeler mon vécu d’In Rainbows, d’un rejet initial à un dédain à une admiration certaine quand quelque chose, soudain, à décliqué. C’est clairement un disque qui n’a pas ses intros de morceaux pour lui. En fait, c’est possiblement le disque de Radiohead le plus cliché qui soit tant il est difficile à apprivoiser au détour d’une écoute distraite. S’il a plus à certains dès la première écoute, c’est possiblement plus par contraste avec l’opus précédent (on retrouve dans A moon shaped pool une organicité, et même, dirais-je, une âme, terriblement absents de son prédécesseur), que sur les pièces présentées (sauf Decks Dark, seul morceau « immédiat », qui n'est pas sans rappeler… The Daily Mail). C’est un album auquel il faut laisser du temps pour se révéler, parfois même au sens littéral (Ful Stop et son intro de 2 minutes).

 

Pourtant, sur cet album, Radiohead se permet d’une certaine façon des faire des choses « faciles » à nouveau. Et, bien évidemment, ça marche. Je ne veux pas être caricatural (et de toutes façons je n’ai pas les connaissances musicales suffisantes pour appuyer mes dires), mais je crois bien que c’est le premier album à présenter autant de morceaux bâtis sur un crescendo depuis... au mieux Kid A, au pire OK Computer. Et vu que c’est ce qui nous avait convaincu à l’époque (je suis une midinette des crescendo), évidement qu’on adhère. Au point de se retrouver plus surpris par cet album qu’on ne l’avait été depuis une paye, entendant le morceau commencer super bas et super mou, avec une batterie claire, on se dit « ouais, bof », et on finit collé à son siège, peinant à croire que le voyage qu’on vient de se taper dure la même longueur que les tunnels d’ennui de l’album précédent, quand ce n’est pas moins, regrettant parfois que ça n’ait pas duré plus longtemps (la fin ultra-frustrante d’Identikit)

Je suis presque à court d’adjectifs pour caractériser mon ressenti, je dois bien l’avouer. Ce disque est splendide, mais aussi très différent de tout ce qu’a pu faire le groupe auparavant. Il est emprunt d’une tristesse marquée, mais tout en retenue. Alors que dans l’ancien temps on accompagnait les crises de panique de Thom Yorke, on est ici face à un homme désespéré mais digne, à l’émotion rentrée et refusant de laisser les larmes s’écouler. Mais celle-ci finit toujours par ressortir, sous une forme ou une autre. La plupart des morceaux s’ouvrent dans un dépouillement quasi-total (un piano, une guitare), mais envahi de fantômes (ces petits bruits dans le fond, vagues (de) musiques, cloches ou harpes, fantômes – dont la spatialisation justifie vraiment l’écoute au casque (Desert Island Disk en tête) - putain cette phrase de snob).

 

Il y a quelque chose d’unique, sentimentalement, dans le fait d’être (agréablement1) surpris par la dernière sortie d’un groupe qu’on aime. Je crois que, dans ces largeurs, cela ne m’était arrivé par le passé qu’une seule fois (et ça s’appelait Push the sky away). C’est comme (parodiant Richard Anthony dans un sanglot) retomber amoureux de sa femme. Pourtant avec cet album de Radiohead, il y a quelque chose.. de différent. Pas quelque chose qui bloque, mais quelque chose de différent. Peut-être ai-je vieilli (ou alors c’est eux), mais cet album, certes je l’aime, certes j’en vois les qualité, mais… j’ai l’impression de l’aimer dans le vide. Peut-être est-ce la désincarnation de la musique, ou, plus probablement, le silence radio de 5 ans après un album que j’avais dédaigné (pour rappel j’aurais clairement enfin pu voir le groupe sur scène en 2011, c’était financièrement possible et mon boulot de l’époque j’aurais grave pu être sur le site de la Fnac à 10 :00 du mat’, mais l’album m’a fait me dire que c’était pas la peine…), qui fait que, pour une fois, on n’a pas pu vraiment voir l’évolution de Radiohead entre l’album précédent et celui-ci. Mais c’est aussi ce qui fait, je pense sa valeur, en partie. Parce que c’est un album de Radiohead. Et il m’apparait nécessaire de rappeler qu’à ce moment là (2015 / 2016), même le batteur a sorti un album solo. Johnny Greenwood fraye avec P.T. Anderson (avec succès), et Thom Yorke a sorti son second album solo… Ils n’auraient pas sorti un album sous le nom de Radiohead s’ils n’en avaient pas eu besoin. Et par là j’entends un besoin viscéral, pas que financier, je pense qu’on peut être sereins pour eux sur ce point là.




Alors oui, il est difficile de ne pas insérer au forceps le contexte : Thom Yorke divorce, il a besoin de ses potes autour de lui pour faire ce qu’ils font de mieux : chouiner sur des guitares. Johnny a bossé à fond sur des instrumentations de cordes pour There will be blood et al ., c’est sa marotte du moment (ça change des ondes Martenot), donc il apporte ça. Colin s’ennuie un peu alors il décide de forcer un peu la basse sur certains morceaux (avec succès – de toutes façons c’est peut-être le membre du groupe le plus sous -estimé.) Ed, lui, ben, il fait ce qu’on lui dit de faire (Ed, vraiment, on a toujours l’impression qu’il est juste content de pouvoir trainer avec ses potes. Il est bizarre par sa non-bizarrerie au sein de Radiohead, c’est fascinant).

Et l’album, par conséquent, d’être possiblement le plus unique du groupe, nous prenant au dépourvu en sortant littéralement de nulle part (« extra res » si la locution existait). Il ne se définit ni dans la continuité du précédent, ni dans son opposition. Il ne se définit pas par rapport à sa situation dans la carrière du groupe… il est. Et c’est tout. Mais rien n’est jamais vraiment neuf ou novateur, donc forcément on retrouve des éléments qui font penser à autre chose… En particulier les cordes, fameux "ajout" spécial de cet album. Quand bien même j’ai vu un certain nombre des films dont il a écrit la musique, je ne connais pas forcément l’œuvre »cordée » de Greenwood plus que ça… du coup moi quand j’entends les cordes débarquer dans, par exemple, « The Numbers », c’est le nom de Jean-Claude Vannier qui me saute aux oreilles (allons plus loin : c’est un morceau entier qui fait se dire « Tiens, quelqu’un a réécouté « Cargo Culte » il y a pas longtemps) – Et c’est le cas de nombreuses irruptions de cordes (ces grands élans de violoncelle, que personnellement j’adore).

Flottant comme une île au milieu de... d'une piscine en forme de lune (ils précisent pas la phase de la lune mais j'ai tendance à croire: pleine), seul et sans semblables, cet album, c'est les retrouvailles, mais aussi la redécouverte... et la redécouverte de la découverte, si vous voyez ce que je veux dire. Il a peut-être fallut que je gratte 15 000 mots sur le chemin, mais pour en arriver là... ca valait le coup.

 

Et évidement, ces retrouvailles de s’achever sur une apothéose que je n’aurais pas cru possible. True Love does wait. Cette version dépouillée, cristalline… paralysante, si je suis honnête.

J’ai souvent dit (et il est possible que j’aie répété cette théorie au sein même de cette rétrospective), qu’il existe deux genres de groupes de rock : ceux qu’on aime parce qu’on voudrait être eux (au nombre desquels je vers les Rolling Stones, les Guns n Roses, par ex) et ceux qu’on aime parce qu’on se reconnait en eux (dans mon cas de weirdo : Weezer, les Smiths, …). Admirable vs. Reliable. Peu de groupes transcendent cette distinction, des groupes dans lesquels on se reconnait encore tout en les sachant inatteignables, qu’on regarde d’en bas, mais dans les yeux. Radiohead en fait partie. Mais depuis quelques années ils paraissaient trop haut pour encore offrir cette projection, cette identification. Et d'un coup, nous sommes à nouveau à niveau.

Certes c’est à la faveur d’une chanson de 1995 que cela arrive. Et il a fallu que de très difficiles choses nous arrivent, à Thom, comme à moi, pour que l’espace d’un peu moins de cinq minutes, il me parle, directement. C’est absurde comme ce simple « wash your swollen feet » (qui ne rime même pas et devrait donc être le pire vers du truc) m’a brisé, invoquant visions de douleur et de maladie, mais aussi de soin et de dévotion totale. Je dois bien le dire, j’ai du mal à écouter cette version sans finir a minima larmoyant, cette chanson invoquant le souvenir de moments difficiles mais surtout, appelant avec eux tout ceux qui les ont rendu vivables. Encore une fois, me voici m'appropriant une chanson au mépris de son sens premier, pour une fois tellement simple et évident.

Si la carrière du groupe s’achevait sur cet album (ce qui, bizarrement, ne me surprendrai pas tant que ça), je serais presque OK avec ça. OK, avec le fait qu’un groupe que j’ai aimé parce qu’il traduisait mon mal-être de petit ado qui ne demande qu’à être aimé mais reste si seul, dans son dernier titre jamais publié, et pourtant directement issu de cette période… me fait chialer de reconnaissance d’avoir, autour de moi, tant de gens qui m’aiment et me supportent (dans tous les sens du terme).

 

Merci à tous de m’avoir lu.

 

 

 

Plus mauvais titre: Je n’en reviens pas de dire ça (et c’est peut être lié au fait d’avoir littéralement vécu avec cet album ces dernières semaines, mais je ne pense pas qu’e cet album ait un mauvais titre. Du coup, en « plus mauvais », je suis un peu obligé de dire « Present Tense », mais plus parce que rien ne le fait sortir du lot qu’autre chose.. (Ca aurait pu être « Glass Eyes, mais Thom Yorke qui se prend pour Nick Drake, qui pourrait détester ?)

Meilleur titre pas sorti en single : Identitik, pas de débat, mon titre préféré de l’album, limite j’en ai pas causé dans le cœur de l’article pour pas vous coller 3 pages dessus.

Meilleure face B de single de la période : Mais enfin, mon bon ami, les faces B ça ne se fait plus. Maintenant les morceaux ils sortent tous seuls, sur le Spotify. Mais je m’en voudrait de ne pas citer ici « Spectre », dont je reste dégouté de ne pas l’avoir vu sélectionné comme titre d’ouverture de film parce que franchement, comme tu fais un générique « classique » de James Bond sur ce titre.

 

1 Je précise « agréablement » parce que j’écoute encore les sorties récentes de Muse, et je continue d’être surpris.

4 commentaires:

  1. Yeah ! Plein de raisons d’être content de cet article : tu es allé au bout de la série, bravo, c’était pas évident. Tu as (re) découvert cet album, et on est en phase sur énormément de choses une fois de plus ! et cerise sur le gâteau je trouve enfin quelqu’un qui adore cette version de « True Love Waits » qui m’a bouleversé dès la première écoute.
    Alors en bémol je dirais que je n’ai pas eu besoin de plusieurs écoutes pour accrocher, et que mon attachement à l’album c’est certes fait par contraste avec le précédent mais aussi (et finalement surtout) pour sa qualité intrinsèque. C’est ca qui était un peu vexant quand les potes ricanaient lorsque je citais A Moon Shaped Pool comme un de mes disques favoris de 2016, sous entendant que je n’avais pas du en écouter beaucoup d’autres. Mais non, en fait j’ai eu tout de suite envie de le réécouter en boucle, ce qui est de plus en plus rare pour les sorties de ces dernières années.
    Plutôt que « retomber amoureux de sa femme » j’avais dit « retrouver des vieux potes perdus de vue » mais l’idée est la même. Se dire que Radiohead est encore un groupe, capable de m’émouvoir (et Dieu que nous sommes en phase sur Colin !). A la réécoute, ce n’est pas si flagrant, le groupe est encore souvent écrasé par Thom Yorke, mais un Thom Yorke qui fait du Radiohead et pas du Thom Yorke solo ! d’ailleurs l’abandon des rythmes frénétiques (et pénibles) des opus précédents, cet apaisement général, fait un bien fou et participe à mon attachement à ce disque. Du coup je te rejoins aussi sur le fait qu’il est à part dans la discographie de Radiohead tout en inventant pas forcément grand-chose. Super article, une fois de plus (qui m’apprend au passage le divorce de Thom Yorke)
    Plus mauvais titre : ben comme toi, c’est hyper dur. Je suis presque tenté de dire « Burn the Witch » qui dans l’absolu est un bon morceau mais renvoie trop au Radiohead d’avant et donc dénote avec le reste (et fut un teaser mensonger pour pas mal de monde. Et en plus il ouvre le disque)
    Meilleur titre : je sais pas si c’est le meilleur mais mon favori est « Ful Stop », il entérine brillamment le lien entre Radiohead et le Krautrock, après la magnifique reprise de Can en live à l’époque de Kid A.. Sinon « True Love Waits ».
    Bon j’espère que cette excellente retrospective t’auras redonné le gout d’écrire de temps en temps sur ton blog ! tu pourras toujours compter sur un fidèle lecteur.

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    1. out d'abord, merci, pour ta présence régulière (et tes commentaires): ça m'a effectivement grandement motivé à aller jusqu'au bout. Je suis très surpris qu'au final ça ait pris moins un an! (pour 9 articles... le moi de 2008 serait affligé)

      Beaucoup de choses sur lesquelles revenir dans ton commentaire.

      Les potes ricanant, je me dis qu'en fait (et bizarrement je l'ai pas dit dans l'article), c'et que c'est probablement l'album le plus fondamentalement émouvant du groupe en 15 ans. Et a force de sortir des disques très intelligents et un peu émouvants, on s'attend plus à ce qu'ils parlent à cette partie de nous en priorité. MAis clairement, A moon shaped pool va plutôt aller toucher les mêmes cordes que touchait Fake plastic trees plutôt que The National Anthem.

      Concernant le divorce de Thom Yorke, l'histoire complète est pire encore: son ex-femme avec qui il avait été ... 23 ans je crois, est décédé l'année suivant le divorce, d'un cancer. Donc techniquement True Love waits a été écrite pour elle au début de leur relation, et publié à l'orée de son décès. Et ça la rend encore plus traumatisante pour moi. Et je dois de pondérer ton enthousiasme: je n'adore aps cette version de True Love Waits. Je la trouve très bien, mais en fait, elle me terrifie. Je ne l'aime pas, je n'aime pas l'état quasi-catatonique dans lequel elle me plonge... Bref elle est extraordinaire mais je la mettrai pas sur le pick up par plaisir.

      Je suis quasi d'accord avec toi pour Burn the witch meilleur titre, en tous cas oui c'est la fausse piste ultime (a part "y a des violons", ca dit pas grand chose de l'album)... Mais en ouverture de live elle a quand même la classe.

      Concernant continuer à écrire... j'avais fait une intro donc je dois peut-être faire une conclusion. Sinon j'ai des tops 5 à faire :)

      Mais ma plus grande fierté c'est d'avoir gratté 26 pages Word sur Radiohead sans une seule fois les appeler "le quintet d'Oxford".

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    2. Je ne connaissais pas cette histoire de la femme deThom Yorke. Et je comprends d'autant mieux ton ressenti à l'écoute du morceau.
      C'est quoi tes Top 5? J'ai commencé à lister quelques idées d'articles pour la suite de mon blog, ayant de plus en plus de mal à écrire quelque chose d'intéressant sur les nouveautés. Parmi elles il y a un top 5 Nirvana 😊

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