dimanche 19 février 2023

Why don't you live it up and buy me a drink ?

 

Ca fait quarante huit heures que je me sens terriblement mal. Je n’arrive plus à rien, paralysé par un cerveau qui ne veut pas fermer sa gueule, et qui entraine dans sa chute un organisme qui décide de jouer la partie contre moi : à la fois affamé et nauséeux, la respiration en vrac (trop courte pour les poumons, trop longue pour ma gorge qui m’enjoint à tousser au moindre influx d’air). Immanence du mal-être qui mobilise toutes mes ressources pour alimenter sa propre souffrance. Physique, psychologique. Spirale vicieuse (donc de Moebius, pour qu’elle puisse se refermer.)

 

Autant dire que ce concert, que j’attendais avec une certaine impatience (c’est mon premier concert en presque 10 ans quand j’y réfléchis, c’est fou), j’ai peur de comment il va se passer. Et on a à peine déposer la petite chez mes parents que madame me le fait sentir, qu’elle me sent pas, ce soir.

J’ai pourtant envie de faire honneur à cette soirée. Ces billets, c’est Thomas qui me les a offerts pour mon anniversaire, à l’occasion d’une réunion de vieux blogueurs qui se serait en fait suffit à elle-même comme cadeau d’anniversaire. Et puis il y a une tendresse, une symbolique dans ce cadeau : Jessie Malin, sans Thomas, je ne saurais pas qui c’est. Et cil vient de publier un panégyrique sur le gars et sur l’importance que celui-ci a pu avoir au sein des temps difficiles qu’il a pu traverser ces derniers temps.

 

On se retrouve tous quatre (Thomas, moi-même et nos chéries),  à  la sortie du métro Pigalle et on trouve une petite brasserie où manger un morceau avant l’ouverture des portes de la boule noire. On prend des tatares, ces dames prennent des salades, c’est pas très progressiste de notre part mais c »’est ainsi.

On entre enfin dans la salle et le stand de merchandising me tend les bras et m’arrache les yeux. Ma chérie me lance un inattendu regard d’approbation qui me fait comprendre que j’ai carte blanche sur la carte bleue. On va se lâcher, parce que tristement, je n’ai aucun disque de l’artiste respecté qui se produit ce soir (il est très mal distribué en France, donc le stand de merch de son concert c’est mieux que la Fnac, et pour qui ne renâcle pas à acheter des CDs en 2023 – j’en fait partie – c’est même très honnête). Après plusieurs aller retours hésitants, je reviens avec 4 albums (dont mon chouchou en vinyle Edition limitée rose pétant)

 

La première partie est une première bonne surprise. Un gars à la guitare sèche, l’autre à la mandoline électrique. Trapper Shoepp est un gars à l’aise, causant, qui nous raconte les anecdotes qui vont avec les chansons qu’il nous propose, il joue quelque six ou sept titres, tous plutôt sympa, on rigole, et ma femme en plus se sent soudainement transportée dans le temps, de retour au Colorado ou les scènes ouvertes débordaient de singer songwriters à influence bluegrass. Je regretterai presque sa carte blanche précédente, parce que du coup elle s’en octroie une sur le stand de merci de la première partie. Enfin je dis ça pour la forme, en fait elle se dévoue à ma place, pour l’album, comme pour le T-shirt « This isn’t fun anymore », message doux amer qui résonne trop bien avec les difficultés actuelles de nos vies. (Et sonne comme un titre de chanson de Morissey)

 

Puis Jessie entre en scène avec son groupe. On a beau être sur la tournée anniversaire de « The fine art of self -destruction » (oh ironie mordante, j’ai l’impression d’y être ceinture noir depuis avant-hier), il attaque avec des titres récents. Quand bien même je suis peu familier de ceux-ci, que voulez-vous que je dise ? Ils sont super. Et au milieu, une reprise de « If I should fall from grace with God » des Pogues. Que demande le peuple ?

 

Ben a priori le peuple il demande quand même ce pour quoi il est venu, enfin ce qu’il y avait sur l’affiche, donc on attaque l’album. Dans l’ordre. Une façon de faire les choses avec laquelle j’ai parfois quelques soucis (j’ai la méga flemme de chercher mais je sais que je dénonçais la pratique sur mon blog il y a quelque dix ans), mais que Malin émaille d’anecdotes sur l’histoire des chansons, de l’album, souvent douces-amères mais tout aussi souvent drôles. On croise dans ses anecdotes beaucoup de fantômes, mais toujours avec cet angle qui fait les beaux enterrements : la joie d’avoir connu plutôt que la tristesse d’avoir perdu.

Une surprise vient cependant interrompre l’enchaînement prédéterminé de la tracklist, et (je dois être en veine), c’est littéralement un  des titres que j’avais, en plaisantant à moitié, évoqué vouloir entendre quand nous discutions de l’organisation, avec Thomas, au téléphone, deux jours plus tôt, pendant que ma fille hurlait en arrière plan : la reprise de Bastards of Young, des Replacements, qu’on trouve sur Glitter in the Gutter.

 

Quelques quinze minutes après avoir hurlé à tue-tête les « I don’t know » » de Wendy, ma catharsis se continue en m’égosillant sur cet hymne de loser, que reprennent en chœur tous les « sons of no one » de la salle. Et moi de redoubler de vois sur le pont qui exprime le sentiment le plus commun mais le plus frustrant de l’existence. J’ai la flemme de le réécrire ici, ceux qui connaissent savent de quoi je parle, les autres allez découvrir cette pépite.

 

Le fin de l’album se déroule sans accroc ni surprise, chacun perdant un peu le fil passé l’endroit ou il arrête généralement d’écouter l’album. (Personne ne va à chaque fois jusqu’à Xmas, soyons honnêtes). Je serai bien en peine de vous dire quand, précisément, j’ai eu mon épiphanie du soir, mais c’est sous son influence que le « Meet me again at the end of the world » final, j’ai pu l’apprécier à sa juste valeur.

10 ans que je connais ma femme (et Thomas la sienne), 15 ans que Thomas et moi on se connait. Tous, on en a connu des emmerdes diverses et variées. Et nous voici tous réunis, dans une salle de concert, se sentant bien, heureux. Parce qu’on a beau morfler, on est là. On est vivants. Et à travers ses titres écorchés autant que ses anecdotes drolatiquement tristes, Jessie Malin est un des nôtres. Non, plus encore. Il est le symbole même d’un mot tellement surutilisé qu’on en a bazardé le sens, il est là, debout, splendide : notre apôtre de la résilience.

 




Ce soir, The Fine art of Self-Destruction, album que j’aimais déjà, vient de passer à un stade supérieur, symbolique : une œuvre pour se rappeler que ça ira mieux. Quand ? on s’en fout. L’important c’est que ça arrivera. Garder la volonté. Je leur dois bien ça, aux gens qui m’ont entouré comme à lui, revenu de tout pour jouer dans une salle de même pas 200 personnes où, exception faite de ma femme, je suis le cadet.

N'empêche, c’est pas tous les jours que ton cadeau d’anniversaire te permets de sortir d’une crise existentielle.

Apposé à sa signature, sur mon vinyle, sont ces trois lettres : PMA. Pour Positive Mental Attitude, avait-il expliqué pendant son set. On va essayer.



5 commentaires:

  1. Je vais faire une petite entorse à la règle non-écrite voulant que je ne commente jamais un texte dans lequel je suis cité pour rebondir sur ta remarque concernant les concerts consistants à jouer un album dans son intégralité, dans l'ordre. Ce qui n'a pas tout à fait été le cas ici (il faut dire que TFAOSD est assez court), mais quand même, on n'en était pas loin.

    Je suis plutôt réfractaire au concept, ce quel que soit l'album. Il y a quelques mois, j'avais été voir les Libertines pour le 20e anniversaire d'Up the Bracket!, et il était assez évident que ça ne fonctionnait pas totalement, indépendamment de la qualité de la prestation, en raison-même de l'agencement des morceaux sur le disque et du fait que celui-ci ait un petit ventre mou. C'était d'autant plus idiot que le groupe a ensuite joué la quasi totalité de son répertoire dans une seconde partie du concert (à ce tarif-là, à quoi bon jouer l'album dans l'ordre ?...)

    Samedi soir, nous avons assisté à l'exact inverse de ce type de prestation (et j'entends bien sûr que le fait que Malin ne soit pas moitié aussi populaire joue évidemment là-dedans...) Et je me suis senti très réceptif à cette approche.

    Je pense qu'il y a deux raisons à cela, une subjective et une objective. Je ne t'apprendrai pas que c'était la troisième fois que je voyais Jesse Malin en moins d'une décennie et que la dernière remontait à moins d'1 an et demi. Je suis donc bien placé pour préciser que les chansons de TFAOSD n'ont jamais déserté les setlists, je les avais d'ailleurs toutes déjà entendues au moins une fois à l'exception de "TKO". "Wendy", "Brooklyn" et "Solitaire", pour ne pas les nommer, ont même été jouées à chaque fois que j'ai vu Malin en live. Pourtant cette fois-ci, elles m'ont laissé un sentiment très différent, car replacées dans le contexte de l'album dont elles étaient issues. Elles n'étaient plus réellement des morceaux attendus ni des passages obligés tassés en fin de concert voire en rappel, au contraire, "Brooklyn" était pile au milieu et la différence de traitement avec ce que j'avais vu il y a à peine plus d'un an était vraiment flagrante la concernant, la version était beaucoup plus travaillée et même le lightshow lui accordait un soin tout particulier. Et ce sont à l'inverse les classiques plus récents comme "She Don't Love Me Now" et "Meet Me at the End of the World" qui sont devenus les titres attendus et m'ont paru un peu expédiés.

    Bref, l'exercice non seulement ne m'a pas paru stérile ni artificiel, mais il m'a même permis de me rappeler à quel point The Fine Art, que je n'écoute plus tellement aujourd'hui vu que je le connais par cœur, était un grand album dont quasiment aucune chanson n'était à jeter (bon, je n'aimerais "X-Mas" mais aller, l'album est sorti rappelons-le un 24 décembre. On va dire que ça fait sens). Et même si je regrette de ne pas avoir eu droit à la magnifique "Cigarettes & Violets", j'ai paradoxalement apprécié qu'il ne se contente pas de jouer l'album + ses faces B pour rallonger un peu la sauce. "All the Way to Moscow" et "Bastards of Young" étaient de vraies, bonnes surprises, bien plus cools que n'importe quel vieux morceau qui aurait été exhumé pour l'occasion.

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    1. Ben déjà, content de découvrir l'existence de cette règle, t'inquiètes pas que je vais plus jamais faire référence à toi si c'est ce qui t'empêchait de commenter ;-) (En même temps j'ai quatre lecteurs et tu les connais tous donc _ça devrait pas tr préoccuper plus que ça).

      Mais trêve de galéjades. Sur le fait de jouer un album dans son intégralité, je crois que le commentaire, je l'avais à l'époque fait quand Patti Smith devait jouer "Horses" d'une traite à Paris. Donc ça remonte (ça devait etre en 2010??). Et j'ai réalisé à la réflexion que j'ai déjà assisté par la passé à un concert du genre, mais pour le coup le contexte, encore une fois, le rendait acceptable: c'était le Trianon de Nick Cave pour présenter "Push the sky away". Mais c'était au sein d'une mini-tournée de 4 ou 5 dates juste à la sortie de l'album. Et l'album s'y prétait, clairement.

      Je suis moins familier que toi des derniers albums (même si depuis le concert j'ai fait tourner toute sa disco dans son ensemble, et oui Sunset Kids revient sur la platine plus qu'à son tour), donc je ne saurais juger des interprétations de leurs tubes, mais on est d'accord: l'exercice a trouvé du sens parce que ce n'était pas "que" jouer les morceaux. Les anecdotes, la remise en contexte (je le réalise seulement a posteriori, mais à aucun moment je me suis dit "oh mais ferme ta gueule et joue", et c'est pas donné à tout le monde). Et en fait avec ces anecdotes, plus que célébrer de bonnes vieilles chansons, il a rendu vivant cet album vieux de 20 ans.

      (Apres j'avoue que j'aurais pas craché sur un "Hotel Columbia" )

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    2. En fait je ne parlais forcément des interprétations en elles-mêmes (assez similaires), plus de, comment dire ? La force de conviction, disons. En 2021, quand Malin descendait dans la fosse la première fois sur "She Don't Love Me Now", tu sentais que c'était pensé pour être le moment fort du concert. Il faisait pas juste deux allez-retours parce que la salle s'y prêtait, il prenait un vrai bain de foule, laissait chanter les gens... etc. Samedi dernier, pauvre fan blasé que je suis, non seulement j'étais déjà sûr à 99 % qu'il allait le faire, mais en plus, je pouvais me permettre de sentir qu'entre temps il l'avait refait des dizaines et des dizaines de fois et que ce n'était plus aussi spontané. Ce qui me permet de rebondir sur "Hotel Columbia", car justement au concert de 2021, elle était plus au moins improvisée suite à la demande d'un fan à la sortie du concert de la veille (Malin avait expliqué qu'il ne l'avait plus rejouée depuis des années). Même s'il ne l'a pas jouée samedi ça m'a amusé de l'entrevoir sur la setlist et de constater que depuis ce soir-là, elle avait visiblement retrouvé une place plus régulière dans les concerts. Après elle ne m'a pas manqué particulièrement, c'était même mieux comme ça (sur 20 titres samedi il y en avait tout de même 9 ou 10 qu'il avait déjà joués dans la même salle en 2021, j'étais très content d'y aller avec toi mais ça m'aurait tout de même un peu frustré de revoir exactement le même set).

      Le stock d'anecdotes du mec semble effectivement inépuisable, celle sur "Bastards of Young" et les reprises était vraiment très drôle... surtout que sur son dernier album, il y a une chanson qui sonne énormément comme... "Hungry Heart" de Springsteen ^^

      Je reviens à ton texte une seconde, j'aime évidemment beaucoup la conclusion car c'est ce que j'avais essayé un peu en vain d'exprimer dans mon dernier texte sur le sujet il y a quelques mois (et c'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, j'en déteste le titre). La musique et l'attitude de Jesse Malin ont beaucoup évolué avec les années, pas assez pour s'aliéner son public de la première heure, mais l'ensemble est effectivement beaucoup plus positif (voire positiviste). C'est devenu un artiste que j'écoute pour me remonter le moral plutôt que chialer dans ma bière. Quand on y pense, The Fine Art of Self-destruction est tout de même un sacré mauvais choix de titre pour un premier album quand on s'apprête à écrire autant de chansons belles et lumineuses...

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    3. Ben pour Hotel Columbia il avait qu'a pas en faire un si bonne version sur Mercury Retrograde.
      Et t'aimes bien ma conclusion mais (c'est la la limite de l'exercice), elle cherche pas à conceptualiser quoi que ce soit. C'est véritablement l'état dans lequel je suis sorti du concert. Alors ca veut probablement dire qu'on arrive à la même conclusion, mais c'est pas une conclusion que j'ai réfléchie.

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    4. Et autre point concernant tant les anecdotes que les chansons avec lesquelles je sui spas familier, un point qu'est tout con mais important: on comprend quand même drôlement bien comme il parle. Et aussi les chansons, première écoute tu comprends 80 % des paroles direct généralement.

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