vendredi 19 avril 2013

Le Rock Critic est aigri le 20 Avril

Demain c’est le fameux « Disquaire Day ». Vous ne pouvez pas ne pas être au courant à moins de vivre dans une cave privée d’Internet, et même à la radio et à la télé ils en parlent. Eh bien, tout discophile que je sois, je pense que je vais m’offrir le luxe d’une grasse matinée, car je vais être honnête avec vous : je n’en peux plus. Je ne supporte plus d’en entendre parler, je ne supporte plus ce débordement d’enthousiasme feint et sans fin.


L’amour dure trois ans

Pourtant la première année j’étais plutôt du genre motivé, enjoué moi aussi. J’avais traversé Paris dans tous les sens, retrouvé des potes dans quatre boutiques différentes et achevé ma soirée en voyant Jay Mascis en concert, il n’y avait vraiment pas de quoi se plaindre. Mais depuis… Eh bien depuis, déjà, je suis devenu sinon plus blasé, du moins plus connaisseur. Quand il s’agit d’aller quérir des vinyles, maintenant, je sais où je dois aller, je sais quelles boutiques m’intéressent, pour quels disques. Alors peut-être que je ne comprends pas ce jour parce qu’il ne me concerne pas vraiment (surement de la même manière que  - enfin peut-être, en vrai j’en sais rien – les gothiques trouvent qu’Halloween c’est naze).

Déjà l’an dernier, en me présentant devant un Gibert Joseph lyonnais bondé à l’ouverture, j’étais plus dubitatif quant à l’évènement. Parce que j’ai vu de mes yeux l’existence de ce que je suspectais pourtant mais qu’une part de moi (le hippie vivant en moi) refusait d’accepter : les spéculateurs. Et ça m’a juste gonflé au plus haut point de me faire bousculer par des mecs qui se rue sur la moindre édition (très) limitée. Sont-ce des collectionneurs maniaques ou juste, comme mon cerveau l’imaginait dans cet instant, des personnages méprisables qui seront connectés sur eBay moins de 10 minutes après leur passage en caisse, je n’en sais rien. Toujours est-il que j’ai chopé la réédition de « Face to Face » en partie pour empêcher le mec qui avait déjà pris « Something Else » et « Arthur » d’avoir la complète (édition limitée disais-je : un exemplaire de chaque dans le magasin). Ça reste un des disques les plus… cons de ma discothèque (le principe de la réédition 2 LP avec l’album en mono sur un et en stéréo sur l’autre, c’est un peu débile) ça reste un bel objet, et un album fabuleux. Mais je reste un brin amer en repensant aux circonstances de son achat. Mais bon, j’avais fait picoler Xavier, j’avais des bons disques à réécouter le lendemain, j’allais pas me plaindre. Et puis…

Aussi belle qu’une balle (dans le pied)

Enfin, pour être pleinement honnête, je trouve que l’initiative est bonne. Créer un jour pour rappeler l’importance que peut avoir un disquaire en tant que conseiller c’est une bonne chose. Un disquaire, c’est pas le mec en gilet de la Fnac (voire pire – de Virgin1), c’est pas non plus la rubrique « les acheteurs de ce produit ont également acheté… »  Un vrai disquaire, c’est l’ami de vos oreilles et l’ennemi de votre portefeuille. C’est quelqu’un qui finit par connaître tes gouts, et qui te conseille des trucs qui te plaisent même si tu lui demande rien. C’est un passionné qui a franchi un cap que toi tu n’as pas franchi : dévouer, à sa façon, sa vie à partager son goût pour la musique. C’est le prêtre de la grande confrérie des geeks musicaux, chacun a sa paroisse, ce qui n’empêche pas d’aller prêcher ou se faire sermonner dans d’autres chapelles, à l’occasion.

Sauf qu’évidement, un simple « jour des disquaires », pour noble qu’il serait, ne serait surement pas efficace. Il faut, si j’ose dire, de la matière. Des disques. Le disquaire Day sans disques spéciaux, ce serait comme le Téléthon sans Gérard Holtz qui te dit de te mobiliser. Et qui fait les disques ? Les maisons de disques. Ca y est, l’arme est chargée.
On sait tous que des années durant, les majors ont infiniment plus préféré traiter avec… les majors disquaires (donc les Fnac et Virgin – je ne sais pas si Gibert compte vraiment aussi ou pas… Et c’est volontairement que je ne compte pas les « Espaces Culturels Leclerc ») parce que ça facilité les circuits de distribution et que ca permet de toucher plus de monde. Il y a une logique au fait que les disquaires survivants qu’on peut trouver aux quatre coins de Paris soient généralement axés « vinyle ». Ils ont survécu parce qu’ils dealaient ce que les gros avaient arrêté de produire et ce que les autres gros ne voulaient pas vendre.

Bref, faire intervenir les maisons de disques dans la célébration des disquaires, c’est une idée qui paraît presque logique à la base, mais dans les faits… C’est comme de demander à Phillip Morris d’organiser la journée mondiale anti-tabac.

Vinyl Vidi Vici.

Il manque juste un petit détail pour finir de mettre en place le piège. Et ce détail… Il est là depuis un an. Mais il est aussi là depuis quoi… 60, 70 ans ? C’est évidemment le vinyle. Format qui ne cesse de faire son retour en force. Depuis dix ans. Au moins.
On ne compte plus les reportages sur « le retour du vinyle », il y a même eu un article sur le sujet dans Télérama, et tout le monde a en tête cette citation d’un grand philosophe français amateur des pantalons en pied-de-poule : « Les gens se remettent à acheter du vinyle. On a même pressé le dernier Marc Lavoine sur ce support ».
Et la grande valse des arguments spécieux de commencer, comme s’il avait fallu 30 ans aux gens pour réaliser que la pochette est plus grande sur un vinyle que sur un CD. Oui, bien sur il y a une part de snobisme là-dedans. De la part des gens se remettant à acheter des vinyles , par volonté de pas faire comme tout le monde, par envie de montrer qu’on est pas n’importe qui, qu’on sait vraiment apprécier la musique et qu’on sait que le son du vinyle est plus chaleureux (« depuis que j’ai encodé mon vinyle de Woodkid en USB, mes mp3 sonnent plus tendre dans mon oreille ».) De la mienne évidement, qui ne veut surtout pas, surtout pas, ô grand jamais être confondu avec ces gens. Une fois on m’a sorti qu’acheter des vinyles c’était un truc de hipster. C’est super dur de contredire une telle accusation. Parce qu’il est toujours plus facile de faire quelque chose que d’expliquer aux impies les causes profondes qui t’amènent à le faire.
Bref, le retour du vinyle, c’est la poule aux œufs d’or qui fait fantasmer l’industrie musicale mourante. L’option qui va la sauver. L’évidence. Vendons de la merde, oui, mais en vinyle. Parce que le truc génial, c’est que le vinyle, c’est plus cher que le CD. Ben oui. Quoi ? Comment ça, quand le CD est sorti c’était plus cher que le vinyle et c’est resté comme ça pendant presque toutes les années 90 ? Affabulations, jeune homme, le vinyle est plus cher forcément, vu que c’est plus beau et plus fragile. Alors quand en plus il est rare…

Medium Rare

Tout est prêt. Il suffit de sortir des vinyles, spécialement pour l’occasion, à tirage limité. Très limité. Trop limité. Créer du « collector immédiat », du truc qui sera tiré à quelque 100, 300, 500 exemplaires max. Et profiter de la possible perspective d’en tirer le double, triple sur eBay, pour faire grimper un peu les prix. Dès l’instant où les gens foutent les pieds chez le disquaire et achète quelque chose, le contrat du Disquaire Day est rempli, non ?
Sauf que l’amateur n’y trouve pas son compte. 300 exemplaires répartis sur toute la France, la probabilité de foutre la main sur un est quasi-nulle si on est pas au bon magasin à l’ouverture. Bon, certes, on peut espérer un peu en le mauvais goût des gens pour nous laisser des trucs, mais on n’est pas là pour ramasser les miettes des sandwiches que d’autres auront beurré. Que voulez-vous, l’égo.

Je n’ai rien contre les tirages limités, ceci dit. Quand ils sont justifiés. Des disques tirés à 300, 500 exemplaires, il y en a plein, souvent parce que l’investissement est conséquent, qu’il faut pouvoir les écouler. Bon, ok, pour amuser les gens on en fera 200 sur vinyle coloré, mais bon, on va pas limiter le pressage à ça. Et peut-être que si on vend tout, on en repressera. Mais le but de base reste de faire circuler, faire découvrir quelque chose.
Là, ce n’est pas la même chose. La volonté de créer du collector, puis la nécessité de dispatcher à l’échelle européenne font que… les disques les plus intéressants se trouveront en nombre oscillant entre 50 et 150 exemplaires à l’échelle de la France. Or ce n’est pas comme si EMI ou Universal  risquaient leur PEL à presser quelques exemplaires de plus d’un vinyle, malgré ce qu’ils racontent.

Prenons un exemple fort simple : Demain parait l’enregistrement live de Stephen Malkmus reprenant, avec quelques amis, l’album Ege Bayamsi de Can. Le truc est suffisamment intriguant, intéressant, pour que sans trop y réfléchir, je décide de l’acheter. En plus, c’est publié par Domino, qui a une politique tarifaire plutôt réglo concernant les vinyles. Sauf que, nombre d’exemplaires en vente en France : 100.
Passé la déception et la colère, le bilan à en tirer est simple : je vais pas pouvoir mettre la main dessus, et quand bien même j’y arriverais, je suis dans l’instant tellement gonflé par le fait qu’il y en ait si peu qu’il est possible que je le prenne même pas. Corollaire : par contre, je vais pas me priver d’essayer de le choper en mp3.
Même ordre d’idée (amusant) : l’an dernier, pour contenter les fans de Bowie, EMI a décider d’éditer un 45 tours de « Starman » en picture disc. Même si je suis pas fan des picture disc, je dois avouer que l’objet était plutôt joli, et puis, on le sait tous, le titre est fabuleux… Mais bon, le prix était tel que pour un ou deux euros de plus, il était possible de s’acheter l’album entier sur vinyle. Qui est également un objet plutôt joli, et avec encore plus de titres fabuleux, non ? (Remarquez : cette année, ils remettent ça avec « Drive-in Saturday »)

You go bangin’ on

Reste la question essentielle : ce jour-là profite-t-il aux disquaires eux – mêmes ? C’est beaucoup d’organisation, de travail, de stress (on n’est pas à l’abri d’une commande qui n’arrive pas)… Cela en vaut-il le coup ?



Huh? 7" by Coldplay? Get the Hell out of my store!

Bon, entre le ram dam fait autour du truc, la présence toujours possible de collectionneur obsessionnel et les spéculateurs, je ne doute pas que ce jour s’avère rentable du point de vue strictement financier. Par contre, la question reste de savoir si cet évènement permet vraiment de se faire découvrir par de nouveaux clients ? D’expérience, j’aurais tendance à en douter. Le nombre de gens ayant si j’ose dire la « politesse » de ne serait-ce que dans les rayons non estampillés « Record Store Day » paraît minime. Alors y acheter…
Un peu comme un magasin de fringues pendant les soldes, sauf que les gens se ruent sur les trucs plus chers que d’habitude.

Le plus joli des (passez-moi l’expression) « coups de pute » autour du Disquaire Day 2013 vient, étonnamment… des maisons de disques elles-mêmes (enfin de certaines), qui n’ont pas l’air d’avoir tout compris. Je vais pas me gêner pour les citer : demain, PIAS et Tricatel (et peut-être d’autres, je ne sais pas , n’hésitez à me dire lesquels) décident d’ouvrir un disquaire éphémère dans leur locaux, pour écouler leurs disques. C’est une bonne idée, j’aime beaucoup le fait de couper les intermédiaires… Mais pourquoi concurrencer soudain les disquaires lors du jour où l’on est censé les faire découvrir et les célébrer ? Où est la logique ? Il vous reste 364 jours par an pour faire votre opération portes ouvertes, les gars, oh ! Je comprends que vous ayez envie de participer, mais… c’est quand même un fabuleux coup de couteau dans le dos de certains de ceux qui vous permettent de tenir tout le reste de l’année, non ?


Mais mis à part ce petit coup en traitre, le Disquaire Day permet – il aux disquaires indépendants  de se faire de nouveau clients, ou juste de subir une journée en enfer, en ayant cependant l’occasion de voir l’adresse de leur échoppe recensée sur le site de l’évènement ? Sincèrement, je n’en sais rien. Mais j’espère vraiment que d’une certaine façon ça leur réussit. Parce que je sais que mon disquaire remplit pour moi le rôle que les maisons de disque et la radio ne sont pas foutues de remplir, et que j’aimerais bien, moi, qu’il en tire quelque chose : que plus de personnes se mettent à l’appeler « mon disquaire »
En attendant d’en savoir plus, je continuerais à considérer que le Disquaire Day est à la musique ce que la Saint Valentin est à l’Amour : un jour où l’on se sent obligé d’acheter une connerie pour montrer à quel point c’est important pour soi. Reste que demain, je vais peut-être rester couché, et passer seulement quand après la vague, ou peut-être pas. Pour deux raisons. La première, c’est qu’avec moi, c’est Disquaire Day toutes les semaines, je n’ai pas besoin qu’on me dise quel jour je dois passer. La seconde, c’est qu’il y a de grandes chances qu’au milieu de la foule, la seule chose que j’aie vraiment envie d’acheter soit une arme. Une arme blanche, bien évidemment, restons analogique jusqu’au bout.



PS : Je suis le premier surpris d’écrire un article aussi « sérieux ». Promis je le referais pas.

1 C’est pas mon genre de tirer sur les ambulances, mais… Je me rappelle, au moment de la liquidation de Virgin, avoir eu une conversation avec quelqu’un m’ayant sorti « quand on voit ce qui se passe avec Virgin, j’ai décidé de ne plus acheter sur Amazon »… Après avoir ri il m’a paru utile de rétablir la vérité : Virgin, en termes de musique, c’était quand même des prix (hors promos 4 disques pour 20 €) rédhibitoires, des stocks pourris (comprendre : de la merde à la pelle, mais plein de simplement absents – et je parle même pas du classement « stylistique » fait avec les pieds - même à celui des Champs-Elysées) et des vendeurs conseillers désagréables et incompétents. Mais ça personne il l’a dit à la radio.

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