Attention: spoilers complets. D’un roman qui a 205 ans.
J’ai eu une envie récente, liée à ma fascination morbide pour la tentative avortée du Dark Universe, de « retourner à la source », et donc de lire les romans qui ont inspirés ce qu’on considère comme les « monstres classiques modernes ».
Ma lecture de
« L’extraordinaire cas du Docteur Jekyll et de Mr. Hyde » m’a presque
déçu. Mais ce n’est pas la faute du roman: celui-ci est structuré comme une
enquête pour comprendre quel est le lien entre le monstre et l’honorable
gentleman, et la solution est éventée depuis un siècle – même si oui, le chapitre de confession de Jekyll est
splendide de désespoir et de mélancolie.
Mais
Frankenstein, ce n’est pas la même chose ! C’est la création de la
Science-Fiction, c’est une réflexion sur la responsabilité du créateur !
C’est un roman visionnaire et éternel ! La pauvre Mary Shelley, effrayée
de sa propre imagination, obligée de poser ses visions sur la page !
J’ai, de fait,
beaucoup aimé ce roman, en dépit de certains de ses défauts. Stylistiquement,
il a les défauts de ses qualités : il a été écrit en 1816, et le langage
(de la traduction) a ce charme du parler d’antan, du passé simple et des
archaïsmes involontaires. Mais en contrepartie, il est de son temps, et cette
structure de roman pseudo-épistolaire (même si le terme de « poupées
russes du témoignage » serait probablement plus approprié) fait soupirer
quand on l’attaque (je n’aime pas les roman épistolaires, désolé, ça
m’emmerde).
Mais ce qui
m’aura le plus marqué (et conforté dans l’idée que revenir à la source est une
bonne chose) c’est que ma lecture fut accompagnée d’un sérieux syndrome de
Shining : le roman n’a que peu à voir avec l’image qu’il laisse dans
la culture générale – merci le cinéma. Déjà, et ce même si je ne m’en étais
jamais vraiment posé la question, je n’aurais probablement pas imaginé Genève,
la Savoie, ou même la charmante ville d’Ingolstadt en Bavière comme cadre
principal de cette histoire. Mais surtout… pas de foudre pour donner vie à la
créature, pas de foule en colère avec des fourches et des torches, et une
créature étonnamment plus éloquente que « Fire bad ».
Bref il y a de
nombreuses raisons de se plonger dans le livre d’origine, dont une qui me
touche personnellement : qu’il est agréable et amusant de retourner à une
époque où la chimie faisait encore rêver, où elle pouvait être un objet de science-fiction
et de fantasmes quant à ses réalisations (pensez bien qu’en 1816, la Chimie
moderne a quelque chose comme 30 ou 40 ans à peine).
Mais il est un
point qui m’a rendu la lecture difficile, point pourtant primordial pour que
l’histoire existe : Victor Frankenstein est un con. J’utilise ce terme
parce qu’il recouvre beaucoup de choses, presque par défaut. Car, et ses
réalisations scientifiques le prouvent, il n’est pas un imbécile. Mais il y a
des moment sou j’avais envie de, au mieux le secouer, au pire le baffer. Mais
genre fort. En vrac (attention spoilers, vraiment) :
- Son
rejet immédiat de la créature n’est décrit QUE par une réaction à la hideur de sa
création. Mais sans plus de développement sur la page. Qu’il soit le symbole de
son hybris, d’une défiance vis-à-vis du Créateur ou un truc comme ça, non, à
aucun moment ça n’est évoqué. Ce qui laisse le gout amer que Victor
Frankenstein, petit bourgeois suisse privilégié, est bêtement superficiel. Et
probablement que s’il était meilleur en travaux d’aiguille il n’y aurait pas de
bouquin.
- Il y
a un moment ou j’ai vraiment insulté Victor et c’est le suivant : Victor
s’est vu demander par sa créature la fabrication d’une compagne. Celle-ci vient
de lui expliquer pendant quelques chapitres que, oui, c’est bien lui qui a tué
le petit frère de Victor, mais c’était dans un élan de colère et de désespoir
parce qu’il est rejeté de tous, son créateur y compris, et qu’il a compris que
seule une créature aussi hideuse que lui pourra jamais l’accepter, donc s’il te
plait papa fabrique moi une copine. Réticent, Frankenstein accepte. Mais alors
qu’il s’apprête à insuffler la vie à cette nouvelle créature, il a une vision
d’horreur du couple de Frankenstein donnant naissance à un nouvelle engeance
qui finirait par prendre le contrôle de la Terre et détruire notre belle
civilisation1. La réaction de Victor ? Tout détruire, (en plus
sous le regard de la créature originelle), scellant ainsi son destin. Et moi de
hurler que franchement t’étais pas à une hystérectomie près et que ça t’aurait
évité bien des problèmes.
- Juste
après, la Créature émet son avertissement ultime : « Je te
retrouverai le soir de ton mariage ».
Reprenons le contexte : tu viens de détruire son seul espoir
d’avoir une compagne. Il te menace de te retrouver le soir de ton mariage.
De quel degré d’égoïsme total faut-il être atteint pour être convaincu que
cette menace pèse sur ta vie à toi ? Pourquoi
attendre jusqu’à ton mariage alors, il peut te buter maintenant. Il ne veut pas
ta mort, il veut que tu comprennes et partage son infini malheur bordel !
Ces points ne
sont que trois points qui me furent particulièrement irritants, mais oui, un
des freins à mon appréciation totale de ce livre est ici. Cette haute société
imbue d’elle-même à laquelle je suis incapable de m’identifier, et qui fait
qu’on donne très aisément raison à la Créature, toute meurtrière qu’elle soit.
L’incapacité du Dr Frankenstein à ne serait-ce qu’évaluer les conséquences de
ses actes, savant fou tellement imbu de lui-même qu’il est impossible de
compatir avec lui, alors qu’il passe la moitié du bouquin à se plaindre… même
face à une créature qui ne lui demande qu’un peu de compassion. Qu’évidement il
est incapable de fournir. Même le projet Manhattan avait plus d’éthique.
Et pourtant…
quelle pierre angulaire de tout un imaginaire. Parce que les vides foisonnants
laissés ici et là font que ce livre offre la possibilité à chacun d’y greffer
ses propres névroses et d’y voir le symbole qui lui plaira le plus. La créature
est elle chaque enfant rejeté de la société qui se tourne vers une vie de
crime ? Ou même l’être humain, abandonné par son Créateur (avec une
majuscule celle-là) ? A l’heure ou l’on parle de plus en plus
d’Intelligence artificielle, le livre ne devrait-il pas trouver une nouvelle
jeunesse ? (Skynet, le Monstre, même combat ?) (C’est probablement
lié à ma vie actuelle mais l’angle : Victor Frankenstein, pire daron du
siècle m’a pas mal accompagné dans ma lecture, aussi).
La porte est
ouverte à nombre d’interprétations autres que le simple « Le monstre n’est
pas forcément celui qu’on croit » (on a déjà toutes les adaptations de
Notre-Dame de Paris pour ça), et c’est, pour moi, ce qui fait la force du livre
et justifie que le mythe du « Prométhée moderne » reste toujours
frais et d’actualité.
Sinon, Pocket,
votre papier est de meilleure qualité que sur mes premiers Pratchett, mais du
coup, vous avez décidé d’économiser sur la colle, non ?
1 Sur le point spécifique de pourquoi le
monstre est plus fort qu’un humain moyen, j’adore l’explication donnée :
il fait 2 m 50 parce que c’est plus facile pour Victor de travailler sur des
trucs plus grands. C’est tellement simple que c’est du génie.
ah, je retombe sur cet article que je relis à la lumière de ma lecture récente de Frankenstein par Georges Bess. On a déjà parlé de tout ca sur facebook, mais un truc m'interpelle grandement: toute ta description colle tout à fait à la Bd, sauf sur ce point: "Mais surtout… pas de foudre pour donner vie à la créature"
RépondreSupprimerDans la Bd, après la biologie et la chimie, Victor F étudie l'électricité dans le but d'animer les muscles et maitrisant dès lors le domaine, c'est bien grace à la foudre qu'il fait tomber via un paratonerre sur des electrodes reliés au crane de la créature baignant dans une cuve de formol qu'il lui redonne vie. Est ce à dire que contrairement à annoncé (où l'ai je rêvé) le texte de la Bd n'est pas l'original de Mary Shelley ?
Ca fait un bout de temps mais clairement, à 95% sur qu'il n'y a aucune électricité dans l'histoire. De la Chimie et genre des perfusions d'onguents, mais pas d'éclair, quasiment sur.
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