The Bends (Mars 1995)
N’y allons pas par quatre chemins : the Bends est un des rares albums
que je n’hésiterai pas à qualifier de parfait. Cela en fait-il le meilleur
album du groupe ? Non. Et si c’est ce genre de phrase qui fait que ma
femme me traite de snob, cela n’en reste pas moins vrai.
Qu’entends-je par album parfait ? J’entends par là que toutes les
chansons de l’album sont a minima bonnes (même si en fait on va souvent
taquiner au sublime). Donc que je n’ai envoie d’en sauter aucune quand je
l’écoute. A cela s’ajoutent le fait que les morceaux d’ouverture et de
fermeture sont parfaits (en tant que tels et à leur place dans l’album, c’est
toujours important), que les singles (nombreux) sont tous bons mais n’enfoncent
pas le reste de l’album au point de ressortir comme singles évidents : Un
(nice dream) n’a rien à envier à un High & Dry, un Bones, rien à envier à
un The Bends ou un Just… Pour vous
donner un autre exemple d’album parfait : Ziggy Stardust. Pour vous dire à
quel point ce n’est pas commun : aucun album des Beatles n’est un album
parfait1.
Je ne saurais dire précisément quand j’ai découvert cet album, mais je sais
qu’à un moment (en première ou terminale, donc vers 2001-2002) on m’a gravé
Pablo Honey (ça m’a changé de ma cassette) et The Bends. J’en connaissais déjà
un extrait (outre le My Iron lung évoqué la dernière fois, même s’il me passait
un peu au-dessus du crane au milieu de ce EP maison du marasme), en l’occurrence Fake
Plastic Trees, dont j’avais entendu une version live sur un concert /
Compilation pour le Tibet libre emprunté à la médiathèque (disque qui me fera
aussi découvrir le Beetlebum de blur et Rancid et me rend donc la datation du
concert difficile) (Je viens de chercher et c’est 1997, c’est le « Tibetan
freedom concert ». Rétrospectivement le line up est dingue maintenant que
je connais les noms dessus)
Bref, The Bends est vite devenu un classique ultime de ma vie en tant que …
disque que j’arrive à ne pas écouter. Comprendre par là que c’est un disque que
j’ai fait tourner un nombre incalculable de fois, en fond, pendant que je
lisais sur mon lit en rentrant le soir, ne prêtant donc qu’une attention toute
volatile au disque lui-même. Enfin, jusqu’au titre 8, parce que l’explosion de
My Iron Lung m’a toujours sorti du truc. Et rarement au-delà du titre 10, parce
que, hasards de la vie, c’était toujours entre les titres 9 et 10 qu’on
m’appelait pour aller à table.
En conséquence c’est probablement un des disques dont je regrette le plus
d’avoir fini par comprendre les paroles (et je serais bien en peine de vous
dire aujourd’hui si je les ai lues ou si j’ai fini par les comprendre.
Probablement un peu des deux, au final : lu celles des titres que j’ai
voulu apprendre à la guitare – le solo de High & Dry est un des premiers trucs
que j’ai réussi à faire sortir d’une gratte qui ressemblait à ce que je voulais
faire- oui il se joue sur genre 3 notes mais on peut pas tous être fans de
Nirvana) parce qu’au final il a perdu cette fonctionnalité et très peu de
disques (voire aucun) depuis ont jamais réussi à la remplir (Marquee Moon.
Peut-être.)
Et paradoxalement, c’est aujourd’hui devenu un disque que, quand je
l’écoute… je l’écoute. Totalement. Si je le mets en fond pendant que je
fais autre chose vous pouvez être sur que je vais pas le faire vite et surtout
je vais m’interrompre un tas de fois. Et en l’écoutant, ce qui me fascine c’est
que… ce disque ne devrait pas fonctionner. Pourtant (miracle du mixage et de la
production ?) tous ces titres disparates, dont pas deux ne s’enchainent en
se ressemblant, parviennent a former un tout, cohérent, et surtout splendide.
Avec des hauts très hauts et des bas pas très bas (comme souvent avec Radiohead
je serais bien en peine de dénigrer un titre, il y a vraiment une notion de
« ok, c’est juste pas pour moi »). L’autre point me fascinant (qu’on
va retrouver plus d’une fois dans cette série) c’est la capacité de Radiohead
d’avoir 10 ans d’avance… pas musicalement mais thématiquement. J’ai failli
faire une blague sur le fait que The Bends est l’album marxiste de Radiohead,
mais dans les faits, c’est l’album d’un groupe qui prend conscience qu’il a
réalisé un exploit (Creep) que certains groupes ne parviendront jamais à
recréer et dont le label, sans aucune considération artistique, demande juste de
le refaire.
Réalisant qu’il n’est qu’une commodité comme une autre, juste plus difficile
à produire à la chaîne, Thom Yorke décide d’en faire une ballade désespérée sur
la surconsommation de « merdes en plastique made in china » (parmi
lesquelles il voit son art inclus) comme distraction face à la vacuité de
l’existence.2 Ce morceau est aussi une des plus belles
démonstrations de la nouvelle arme que le groupe vient de réaliser qu’il
a : 3 guitares. Enfin, surtout que quitte a avoir 3 guitaristes autant qu’ils
jouent des trucs différents plutôt que de tous trois jouer le même truc
histoire de sonner fort. Et sur ce morceau, le déploiement stratégique de
l’acoustique, d’une électrique jouant des accords avec un peu de distorsion et
d’un électrique claire pour le solo est tout simplement terrassante.
J’ai dit il y a deux articles que malgré tout, Creep est une bonne
chanson, émouvante et tout, mais soyons honnêtes, si elle passe en soirée, ça
m’en touche une sans faire bouger l’autre. Si Fake Plastic Trees passe, on est
pas 2 accords dedans que je cherche déjà où aller me cacher pour chialer tout
ce que j’ai, entendons nous bien. Et c’est même pas ma chanson préférée de
l’album ! Pourtant, c’est une de ces chansons qui, quand je les entends,
me plonge dans des abîmes de reconnaissance face au fait d’être né à un moment
ou cette chanson existe (et de pas, genre, être mort en 1993 – je suis sur que
j’aurais eu une vie intéressante hein, j’aurais connu les 30 glorieuses et
tout, mais pas Fake Plastic Trees et du coup ça aurait été un peu moins bien
quand même. Moi j’ai Fake Plastic Trees ET Dear Prudence (et plein d’autres
mais c’est tout ce qui me vient dans cette catégorie) je suis bien, même si
confronté aux abysses existentielles du réchauffement climatique et condamné à
redéfinir mon propre rapport à la société de consommation, entre autres via
l’écoute répétée de cette belle et douloureuse chanson.
(Mais sinon ça va)
De tous les premiers albums de Radiohead, qui ont cet effet « ouah la
face A est ouf mais la face B c’est pas ça », il faut aussi avouer que The
Bends est celui qui maintient l’illusion le plus longtemps. Ce n’est que la
soudaine coupure de Bulletproof (I wish I was) après l’excitation de la fin de
My Iron Lung (je vous ai parlé de My Iron Lung ?) qui, certes, offre une
respiration bienvenue après deux titres qui décidément en envoient sévère, mais
peut être une trop large respiration qui casse un peu les pattes (et dont pâtissent,
à mon avis, les deux titres suivants, très « classiques » dans la
forme, mais néanmoins très efficaces – Sulk en particulier, pourrait échanger
sa place avec (nice dream) sans que la face A ne perde de sa splendeur.
Face au « toujours difficile second album » les groupes ont de nos jours plusieurs choix : continuer dans la veine du précédent, sortir les morceaux qu’on n’avait pas jugés assez bien pour le premier, ou se réinventer. J’ai longtemps préféré les 3emes albums (les fameux albums dits « de la maturité ») de mes groupes préférés, mais en vieillissant, je me suis souvent tourné plus précisément vers les premiers, mais surtout les seconds albums (a ma grande surprise, l’album des Smashing Pumpkins que j’écoute le plus régulièrement est Siamese Dream par exemple). Parce que ce qu’un groupe dit et fait dans son second album est généralement bien plus une déclaration d’intention que ce qu’était son premier ou sera son troisième. Avec The Bends, Radiohead devient un groupe auto conscient, instatisfait et volontairement contre productif, décidé à pousser la corde pour voire quand elle casse. En ce sens, ce n’est pas tant My Iron Lung (qui est au final un morceau post-grunge, mais anglais), ou The Bends (qui bien que rayonnant de « Oh mon Dieu j’ai tout ce que tout le monde voudrait mais franchement c’est pas fait pour moi » est au final « juste une très brillante pop song »), que Just qui illumine l’album de sa présence défiante. Un morceau comme celui-ci ne devrait probablement pas exister et surtout ne devrait pas être aussi bon.
Avec les années mon point focale sur ces albums a évolué et mon morceau
préféré n’a cessé de migrer de la plage 4 à la 8 à la 12… Finalement la 7,
juste après la moitié de l’album, est l’apex, le climax d’un album qui n’a fait
que tendre vers cet apogée et ne fera qu’en redescendre derrière. Vrombissant,
virevoltant (le jeu de guitare n’est pas sans rappeler au fan en moi le
« Bodies » des Smashing Pumpkins, cette sorte de spirale / ZigZag de
torrents de bruit) et décidant de ne jamais rester le même, changeant le morceau dès qu’on pourrait s’y
sentir à l’aise plus de deux secondes, c’est là que Radiohead montre son génie,
sa volonté et surtout son crédo : on peu être tout à la fois pop et prog,
on peut être intelligent sans être chiant, on peut divertir et faire réfléchir.
C’est quand on utilise Radiohead comme exemple (ou les Beatles) qu’on est
le plus à même de me happer dans des explication relous de musicologie. Et ils
auront beau engager le même producteur ou pomper Chopin à la source, c’est pas
Muse qui saurait en dire autant.
Il est peut-être moins « important » que Nevermind ou même son
propre successeur, il n’en reste que The Bends est le plus grand, le plus beau,
le plus parfait des albums des années 1990 (Mais pas le meilleur).
Plus mauvais titre: Bulletproof (I wish I was) . Je vais pas me faire que des amis mais c'est mon opinion.
Meilleur titre pas sorti en single : Ils sont quasiment tous sortis en singles! Au final, je dirais Bones, probablement un peu sous estimé car trop similaire à The Bends
Meilleure face B de single de la période : Talk Show Host, no contest. J'adore Killer Cars également, je trouve que c'est un morceau qui mériterait mille fois plus d'exposition, mais Talk Show Host, est un tel chef d'oeuvre. Je reste convaincu que son absence de tout album est juste liée au fait de garder un "inédit" pour la B.O. de Roméo + Juliette.
Leçon de vie cachée dans les paroles: I wanna live / Breathe / I wanna be a part of the human race. N'importe quel autre groupe chantant ça ce serait des pleurnichards. Ici c'est juste une requête légitime.
1 Et avant
que les mauvaises langues ne se délient et parlent à tort de jardins de
pieuvres, disons-le : c’est souvent la faute de George et du
sous-continent indien.
2 D’où la
présence évidente du morceau sur la B.O. du film Clueless (qui est un film
plus malin qu’on le croit)