mardi 12 février 2013

Nick Cave and the Bad Seeds, Live au Trianon (Paris, 11 Février 2013)

Lyon. Un week-end de 2007. Ou de 2008. Probablement 2008. Par contre, je n'arrive plus à me rappeler lequel, ni ce que je faisais à Lyon. Ca devait être 2008, parce que si j'ai écouté Nick Cave plus que de raison quand j'étais à Lyon en 2007, ce n'est qu'en 2008 que j'ai acquis Abattoir Blues / the Lyre of Orpheus. A Lyon pourtant. Ma mémoire n'est sûrement plus ce que je crois qu'elle était.
Toujours est il que je déambulais dans la Gare de la Part-Dieu quand c'est arrivé. Soudain, pour la première fois depuis des années, un titre, que j'avais pourtant déjà écouté quelques fois auparavant, m'a collé, d'un coup d'un seul, lors d'une montée / pont final, un sévère coup derrière la tête. Et me voilà, figé, frissonnant, au milieu de gens courant après leurs trains.

Hey, little train, wait for me. I once was blind, but now I see...

La seule raison pour laquelle je vous raconte ça, c'est que je ne me suis rappelé de ce moment de ma vie qu'hier soir. Elle est là la puissance de l’œuvre Cavienne (c'est cela dit le propre de l’œuvre de tout Grand), celle de nous dire, de nous rappeler de nous découvrir nous-mêmes.

Les Cavistes (que j'espère nombreux parmi les lecteurs de ces pages) ne devraient pas avoir besoin de plus que ça et de la setlist du concert d'hier pour comprendre à quel point j'ai passé une soirée extraordinaire. Mais c'est un peu court (jeune home) pour les autres, donc voilà.

http://blogs.lexpress.fr/judebox/wp-content/blogs.dir/687/files/2013/02/59ce89d2-630x630-300x300.jpgJ'ai décidé de prendre une place pour le concert de Nick Cave au Trianon pour la raison la plus con du monde : pour me venger de n'avoir pas pu avoir une place pour le concert de Pulp à l'Olympia. Je voulais y être, presque plus que je ne voulais y assister. Car voyez-vous, le petit problème, c'est que ce concert était là pour présenter le nouvel album. Nouvel album qui ne sort que lundi. Mais que tout le monde a déjà écouté. Sauf moi. Parce que tant qu'à faire, je voulais faire les choses bien. C'était ma première fois avec Nick Cave, tout de même.

Or justement, le problème c'est que l’œuvre du gars ces dernières années n'était pas vraiment à l'image de ses gloires passées. Si j'osais, j'avouerais que le dernier morceau de sa main qui m'ait vraiment entièrement convaincu, c'est « No Pussy Blues ». 2007, donc.
Enfin, ça c'était avant hier soir.

La salle du Trianon est charmante, avec ses sculptures et ses labris ses balcons en corbeille, sa moquette râpée de centre de Sécurité sociale. Le long rideau rouge pend sur la scène , et on se dit qu'au moins, le lieu est agréable – ce qui n'est pas plus mal vu qu'il faut y retourner dans quelques mois. En attendant qu'arrive Ska, et faute de pouvoir payer autrement que par carte bleue, je sirote un Jack Daniells 1 pour me mettre dans l'ambiance quand s'ouvre soudain le rideau rouge... sur un écran. Pour la diffusion du making of du dernier album. Ce n'est pas la chose la plus fascinante du monde, mais ça occupe. Surtout que (c'est le barman qui me l'a dit) le concert commençant à 20 h 30 ça ne devrait plus tarder.

C'est à ce moment que je retrouve Ska et sa chère et tendre. On discute quand le noir s'abat sur la scène. Les Bad Seeds ont tellement changés qu'on peine à reconnaître les musiciens, sauf évidement Warren « Robinson » Ellis. Il faudra que le Caveman himself excuse un Thomas Wylder malade pour réaliser que le batteur remplaçant de ce soir n'est autre que... Barry Adamson!2
Le groupe est accompagné, j'ai oublié de le dire, de plusieurs choristes : deux jeunes filles et quatre enfants, auprès desquels un Nick Cave étonnamment joueur avec son public ce soir ne cessera de s'excuser à chaque insulte proférée. (Enfin, à chaque « fuckin' ». Et ça fait fuckin' souvent).



Nick Cave, lui, n'arrive évidement qu'en dernier pour s'emparer du micro et saluer la salle, avant d'annoncer le programme de la soirée : Jouer d'abord le nouvel album dans l'ordre (« et non en shuffle comme tout le monde l'écouterai de nos jours »), puis ensuite jouer « some other old stuff ». On signe évidement des deux mains. Surtout pour les old stuff, parce qu'on vous rappellera ma situation : Cave ne m'a pas convaincu sur disque depuis … 2004 ?, et je ne sais pas encore vraiment à quoi ressemble l'album.

Dieu merci, les titres sont doux, Cave articule suffisamment bien pour que même dans les moments où je suis un peu moins convaincus (moments étonnamment rares, car, je le découvre ce soir même, l'album est plutôt très bon), je peux m'accrocher à l'écoute des paroles pour être certain de ne pas m'ennuyer un instant. Cela entraînera évidement quelques instants d'incompréhension (« Attends, c'est moi ou il vient bien de chanter « Wikipedia is heaven » ? Attends, il vient pas de dire « Hannah Montana » ? Faut croire, il vient de dire « Miley Cyrus ». Oh merde. Dans une chanson qui s'appele « Higgs Boson Blues »3)

Du nouvel album, je retiens surtout « We know who U R », ouverture sombre et tendre, « Jubilee Street » et « Finishing Jubilee Street », « Higgs Boson Blues », et le titre intitulant l'albm « Push the sky away » (Ce titre résonne particulièrement en ce jour de papauté démissionnaire, d'ailleurs...)

D'un certain côté, alors même que je me fais terrasser par certains titres, je sais que j'ai fait tout à la fois le bon et le mauvais choix. Découvrir Jubilee Street et son final, comme ça, sur scène, c'est le meilleur moyen de le découvrir, explosif, tranchant, impressionnant... Mais enfonçant fatalement, pour toujours, tout espoir d'être jamais réellement convaincu par son pendant studio qui n'atteindra jamais la même énergie, ne me mettra jamais, jamais, malgré toute la bonne volonté que le groupe comme moi pourraient y mêler, dans le même état que durant ces instants fugaces de communion.
Le même problème se posera pour « Higgs Boson Blues », même si l'incongruité des paroles me permettra de garder un peu plus les pieds sur terre.
Push the sky away conclut la première partie du set sur une note douceâtre, m'inspirant une image pas très inspirée à base de Leonard Cohen meets Kid A. La métaphore est pourrie, mais la chanson est belle.

Alors voilà. On est déjà très convaincu par l'album qu'on vient d'entendre. Mais d'un autre côté... C'est maintenant que l'excitation monte vraiment. Vraiment.

« And now, as promised, let's play some old stuff ».

On a à peine le temps de respirer qu'on abandonne tout ce qui faisait l'ambiance de la première moitié du concert. De halos pâles, la lumière s'ensanglante soudain, Nick saisit le micro et...

« I wanna tell you about a girl »

Non... Si.

From her to eternity, comme ça, direct. Plus de mélancolie, mais du sombre, du violent, Cave gesticulant, sautant, éructant... Nick Cavant. Il est en forme pour un vieux. Et il ne nous laisse pas vraiment de répit, nous entraînant dans la poisseur de sa discographie passée... Car à peine achevée cette performance sur un de ses titres de jeunesse... sonnent le glas. Non, sérieusement, Nick. Red Right Hand ? Maintenant, comme ça ? A croire qu'il veut convaincre au plus vite ceux qui auraient pu ne pas l'être suite à la première partie...



Mais bon, on ne peut pas tout faire dans la poix... Il est donc temps de remettre un peu de lumière dans ce théâtre. Ce sera O Children, qui, une fois que j'aurais compris qu'en fait ce n'était pas Easy Money, me bloquera à mi chemin entre le Trianon en 2013 et la Gare de la Part-Dieu en 2008. Oui, disons 2008, vous l'aurez deviné.
Et afin de vraiment poser les choses, de calmer l'ambiance à nouveau, ce sera the Ship Song, avant de dire bye-bye aux choristes (il est 22h, c'est l'heure de coucher les enfants.) Et ainsi, pendant encore quelques titres, les Bad Seeds, entre eux, de nous offrir, selon l'humeur, ce savant mélange de sang, de sueur, de larmes et de foutre qui constitue le cocktail unique de l’œuvre de Nick Cave.

A nouveau, on repart d'un sommet de violence avec Jack the Ripper, menée de main (de fer) de maître.4 Et on se surprend à découvrir ce groupe, ancien, rodé, déroulant ces titres avec une fougue et une énergie et une bonhomie (j'ose le terme) attendrissante. Pro, mais humains. Sauf le grand maître de cérémonie, pénétré, qui aimante le regard. Il y a là un déséquilibre aussi fascinant que frappant, ant, derrière lui, le groupe semble s'amuser tandis que lui prend les choses au sérieux.... Sauf que... sauf qu'il est un moment ou tous doivent s'amuser, et ce sera Deanna. On connaît tous ce titre, ce n'est pas lui le pic de la carrière des Bad Seeds, c'est, mais il est impossible de bouder son plaisir, surtout sur une version live aussi entraînante5.

Maintenant on s'en doute, il est temps de rebaisser le ton d'un cran, et le patron de s'installer au piano (dont on découvre l'existence à ce moment à vu qu'il n'avait pas servi jusqu'à présent!). C'est le moment souffrance. Your Funeral, my Trial, puis... Love Letter. Love Letter, Love Letter...
Paradoxalement, ce sera le moment « bas » de cette session (enfin à mes yeux), ce qui est surtout le preuve (sinon de mon manque de goût diront certains) du côté relevé de ce menu best of. Qui doit bien évidement s'achever en feu d'artifice...

I begin to warm and chill... To objects and their field....

Évidement. En plus la gonzesse derrière moi arrêtera enfin de gueuler « The Mercy Seat » à la fin de chaque morceau. Sauf que. Insatisfait par le démarrage, le groupe reprend le morceau, à l'instigation de son chanteur, depuis le début. Pour finir en apothéose, avec cette coda démente qu'on connaît tous (si vous ne connaissez pas, vous devriez).

Essoufflé, ravi, fasciné, même pas vraiment capable de râler que j'ai pas entendu telle chansons tellement je suis ravi et convaincu, j'attends. J'attends le retour, le rappel. Qui bien évidement viendra. Dum dududum... tou doudoudoum. Voilà. La conclusion. La folie, le sang, la sueur, le foutre, les larmes et le Diable : Stagger Lee. On ne saurait rêver meilleure conclusion. Les lumières se rallument pour nous indiquer la sortie, on a pas envie, mais bon.

Je sais, je ne suis pas à la hauteur pour résumer ce concert qui aura su me donner la chair de poule comme peu y sont parvenus auparavant... J'en suis désolé. Mais j'ai vu l'Apocalypse, et c'était beau.

Il est temps pour certain d'aller chercher les enfants, pour d'autres de rentrer... Et d'aller se coucher, en glissant dans le radio-réveil « The Lyre of Orpheus »...

O Children... Rejoice. Rejoice.






Setlist : Je vous ai détaillé tous les titres, donc c'est pas la peine non plus....


1 Oui, c'est décidé, vu les échos que j'ai eus de mon compte rendu de Rock en Seine, j'ai désormais décider de détailler toutes mes boissons dans les compte-rendus de concert. Rassurez-vous, je varierai les breuvages, et c'était mon seul verre de la soirée.
2 Je sais, ça ne peut faire (sou)rire que les cavistes nerds, et encore.
3 Cette chanson m'a bizarrement touché, en ce sens que j'y associe plein de trucs, eut égard à son truc, qui ne sont pas dedans. D'une part le blues du but atteint sans but vers lequel aller après – comme ont du le ressentir les physicien qui cherchaient à prouver l'existence dudit boson... Et se sont fait doubler. D'autre part, le fait que j'en ai appris la découverte via un texto qu'on m'a envoyé alors que j'étais en route pour un enterrement. Dieu que c'est triste un boson en Juillet.
4 On signalera que cette chanson fut présentée par le Caveman himself de la façon suivante : Vous savez, dans la vie à un moment ou à un autre, on atteint un pic, et à partir de là, tout ne fait que chuter … Blaaaah... Cette chanson est mon pic personnel ».
5 D'ailleurs, c'est peut-être la fréquentation trop assidue des concerts garage de Montreuil, mais j'avais bien l'impression d'être le seul en train de twister sur Deanna. Les gens ne savent plus s'amuser.